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« Réguler les plateformes numériques de travail » - Partie 2 -

mercredi 20 janvier 2021

Les recommandations formulées en conclusion du rapport

Dans le cadre défini par la lettre de mission, J-Y. Frouin formule treize recommandations en conclusion des cinq parties de son rapport.

 Dans la première partie, relative à la clarification du statut des travailleurs des plateformes, l’auteur du rapport laisse entrevoir un regret. En substance, il explique que la solution consistant à étendre les droits des salariés aux travailleurs des plateformes serait « techniquement aisée à mettre en œuvre », mais qu’elle a été exclue du cadre de la mission… Le rapport écarte aussi l’idée de créer un tiers statut, intermédiaire entre salariat et travail indépendant, cette solution ayant le grave inconvénient de remplacer une frontière floue par deux frontières qui le seraient autant (recommandation n°1). En définitive, le rapport préconise de faire disparaître les indices d’un lien de subordination en donnant les moyens au travailleur de se constituer sa propre clientèle, de fixer ses tarifs et les conditions d’exécution de sa prestation, et d’introduire dans le code du travail une définition légale du travailleur indépendant reposant sur la réunion de cinq critères : posséder ses propres moyens de production et assumer les risques de son activité ; être libre de refuser une tâche et pouvoir en fixer les limites ; être libre de fixer ses horaires de travail ; avoir le droit de se constituer sa propre clientèle et d’offrir ses services à tout autre tiers ; avoir la faculté de se faire remplacer. Autrement dit, codifier les indices que la jurisprudence retient de longue date. Cela clarifierait-il vraiment la situation ? L’auteur du rapport n’en semble pas lui-même convaincu si l’on en croit l’absence de cette préconisation dans la liste des recommandations qu’il formule.

 La deuxième partie du rapport est intitulée « garantir les droits des travailleurs et sécuriser les relations par le recours à un tiers ». Dans ce cadre, le rapport recommande que tout travailleur ayant une ancienneté d’activité d’au moins 6 mois (pour les livreurs à vélo) ou 12 mois (pour les chauffeurs VTC), au moins à mi-temps, soit tenu de se faire salarier par un tiers, entreprise de portage salarial ou coopérative d’emploi et d’activité (recommandation n°2). Le surcoût de cette « indépendance protégée » serait réparti entre le travailleur et la plateforme, le premier bénéficiant d’un avantage fiscal à définir (recommandation n°4) et la seconde devant rétrocéder au tiers une part de sa commission que le rapport estime entre 20 et 25 %, mais qui devrait être défini par la négociation collective organisée sous l’égide de l’autorité de régulation des plateformes (recommandation n°3).

 « Assurer une régulation collective des plateformes s’appuyant sur des représentants légitimes des travailleurs » est le titre de la troisième partie. Cette régulation collective devrait concerner au moins, selon le rapport, les huit domaines que doivent traiter les chartes prévues à l’article L.7342-9 du code du travail (v. ci-dessus, 1ère partie). Elle impliquerait la négociation d’accords collectifs dans le cadre de chaque secteur d’activité (recommandation n°5) - la Commission Européenne s’étant engagée à lever les obstacles résultant de l’interdiction des ententes en droit de la concurrence - ou, subsidiairement, dans celui d’une plateforme. Ces accords seraient négociés et conclus par une représentation des travailleurs, fondée sur des élections dans chaque plateforme avec une agrégation des résultats au niveau de chaque secteur d’activité.

À défaut d’accord collectif sur les thèmes de la négociation collective, le rapport recommande d’imposer aux plateformes une obligation de transparence et d’information sur le fonctionnement des algorithmes, sur les modes d’évaluation et de notation des travailleurs ainsi que sur l’utilisation qui en est faite, et sur les modalités de détermination des prix (recommandation n°6). Afin de protéger les représentants des travailleurs, il est recommandé d’imputer à la plateforme, en cas de baisse de l’activité du représentant, la charge de prouver que cette baisse procède de motifs étrangers à l’exercice de fonctions de représentant (recommandation n°7).

 Dans sa quatrième partie, intitulée « Réglementer et contrôler les plateformes numériques de travail », le rapport recommande de compléter les dispositions existantes du code du travail (ci-dessus, 1ère partie) par plusieurs règles impératives. Les informations sur la prestation proposée par la plateforme devraient être étendues à la destination de la course (recommandation n°9). Le temps de conduite devrait être limité à 60 heures hebdomadaires dans la zone dense urbaine d’Île-de-France (recommandation n°10), la rupture des relations à l’initiative de la plateforme ou la diminution substantielle de commandes devrait être fondée sur un motif légitime (recommandation n°12). À défaut, une indemnité devrait être due au travailleur. Celui-ci devrait avoir droit à l’assurance chômage. La loi devrait assurer aux travailleurs une rémunération horaire minimale correspondant approximativement au SMIC horaire après couverture des coûts d’exploitation, soit environ 15 à 18 euros et un prix minimum net chauffeur par prestation de l’ordre de 7 euros (recommandation n°11).

 Enfin, le rapport préconise la création d’une autorité de régulation des plateformes, dont la mission consisterait à mettre en place le dialogue social, à servir de médiateur en cas de litige entre plateformes et travailleurs, à organiser la négociation collective sur le partage des frais de structuration collective via le recours à un tiers, à donner son avis sur les minima fixés par la loi, sur les décisions d’octroi, de suspension et de suppression des licences des plateformes, à autoriser la rupture des relations contractuelles entre un représentant des travailleurs et une plateforme à l’initiative de celle-ci (recommandation n°8), et à réunir et centraliser les éléments d’information statistique sur les plateformes de travail afin de disposer en permanence de l’ensemble des éléments d’appréciation (recommandation n°13).

Sans conclure sur une recommandation concrète, la cinquième partie du rapport répond au Premier Ministre qui sollicitait des éclairages sur l’opportunité d’instaurer un socle commun de droits susceptible de s’appliquer à toutes les formes d’activité professionnelle. S’inspirant largement du rapport « Au-delà de l’emploi » (1999), dans lequel Alain SUPIOT préconisait d’attacher les droits à la personne du travailleur plutôt qu’à un statut ou à un emploi, cette cinquième partie esquisse deux propositions. La première vise à protéger la santé des travailleurs, comme le droit du travail à son origine, en préconisant la reconnaissance d’un droit au repos à tous les travailleurs. La seconde, prenant en compte l’aspiration de plus en plus répandue, préconise la reconnaissance d’un droit à reconversion professionnelle dont le fonctionnement pourrait s’inspirer de celui des droits rechargeables à l’assurance chômage. Dans les deux cas, le droit se concrétiserait sous sa forme monétaire à mesure des activités exercées. S’agissant de droits de créance, leur mise en œuvre suppose de leur conférer un débiteur. Le rapport esquisse une réponse à propos du droit au repos en suggérant de prendre modèle sur les caisses de congés existant dans les secteurs du bâtiment et des spectacles.

Étroitement encadré par une mission qui visait à prémunir les plateformes du risque de requalification des contrats qui les lient à leurs travailleurs dans un premier temps tout en imposant de ne pas remettre en cause le statut de travailleur indépendant pourtant imposé par les plateformes, J-Y. Frouin a livré un rapport particulièrement riche et équilibré. Ce rapport est à présent entre les mains des partenaires sociaux. Cependant, du fait même de l’extension donnée en second lieu à la mission, la prise en compte des recommandations par le Gouvernement excéderait le cadre de l’habilitation à procéder par Ordonnance, inscrite dans la loi d’orientation des mobilités. Leur traduction législative prendra donc encore quelque temps. Et de l’ambition de cette traduction dépendra étroitement le tarissement espéré du contentieux de requalification des contrats tout en assurant de meilleures conditions aux travailleurs des plateformes ».


Retrouvez la 1ère partie : Rapport remis au Premier Ministre le 2 décembre derniert, signé de Jean-Yves Frouin.
https://www.clesdusocial.com/reguler-les-plateformes-numeriques-de-travail-nouveaux-types-d-entreprises-et-d-emplois