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Deliveroo, condamné pour travail dissimulé

samedi 4 juin 2022

Depuis le début de l’existence des plateformes, le statut d’emploi des livreurs, chauffeurs ou autres travailleurs qu’elles emploient fait débat. Employés sous contrat commercial, ils sont officiellement travailleurs indépendants. Dans plusieurs pays (Californie, Royaume-Uni, Espagne, France…), ces travailleurs ont porté la question de leur statut en justice et, selon les États voire les tribunaux, la réponse a été différente, avec souvent une requalification en salariés. En France, deux arrêts de la Cour de cassation en 2018 et 2020 ont requalifié des indépendants en salariés.

Des livreurs travaillant pour Deliveroo ont porté plainte, pour la première fois au pénal en première instance, pour contester le fait d’être travailleurs indépendants, vues les conditions qui leur étaient faites par Deliveroo, les années en cause étant celles des débuts, de 2015 à 2017.

Le jugement du Tribunal correctionnel de Paris (19 avril 2022)

L’entreprise est condamnée à 375 000 € d’amende, somme maximum possible, à 50 000 € pour préjudice moral à chacun des 5 syndicats qui s’étaient portés partie civile, à des dommages et intérêts pour 120 livreurs partie civile, et à rembourser le préjudice subi (cotisations sociales) à l’Urssaf, elle-même partie civile. Deux dirigeants sont condamnés à 1 an de prison avec sursis et 30 000 € d’amende et à 5 ans d’interdiction de diriger une entreprise. Un troisième, accusé de « complicité » de travail dissimulé, écope de 4 mois de prison avec sursis et 10 000 € d’amende.

Les motivations du jugement

Le Tribunal, suivant les réquisitions du parquet, conteste l’emploi de ces livreurs, entre 2015 et 2017, comme travailleurs indépendants plutôt que comme salariés : « Il s’agit d’un habillage fictif ne correspondant pas à la réalité de l’exercice professionnel des livreurs ». Cela les prive de droits : « Un faux travailleur indépendant, soumis à un lien de subordination juridique et dans une situation de dépendance économique ne pourra pas faire valoir ses droits sociaux dans les mêmes conditions qu’un salarié déclaré : droit de grève, visites médicales, liberté syndicale, jours fériés… ».

En effet, les livreurs interrogés ont témoigné que, sous une apparence de liberté et de flexibilité, ils avaient en fait rencontré la pression, la surveillance, les réprimandes. Le tribunal a relevé qu’ils devaient avoir une tenue siglée Deliveroo, suivre obligatoirement certaines formations, que la modification de leur planning ou zone d’intervention devait être validée par la plateforme, qu’ils étaient contrôlés par géolocalisation et que l’entreprise pouvait sanctionner (« débrancher », donner les moins bons créneaux…). Il y avait donc subordination juridique et dépendance économique.

Le tribunal accuse donc la plateforme de fraude et d’une « dissimulation systémique » du travail, en bénéficiant de « tous les avantages de l’employeur… sans les inconvénients » et « à moindres frais » en évitant de payer les charges sociales.

Deliveroo a annoncé faire appel de ce jugement. Elle a aussi mis en avant que depuis les années contestées, certaines pratiques ont évolué : selon elle, il est par exemple plus facile de refuser une course.

Ce jugement montre combien le débat sur le sort de ces travailleurs est important, pour combler cette absence de droits (chômage, retraite, algorithme…). D’où la nécessité d’une réglementation et de la construction de droits. La législation française a peu à peu commencé à se saisir de cette question et vient de mettre en route la représentation collective de ces travailleurs avec un objectif de dialogue social et de négociation de droits.