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« Réguler les plateformes numériques de travail » - Partie 1 -

samedi 16 janvier 2021

Sous ce titre a été remis au Premier Ministre le 2 décembre dernier un important rapport, signé de Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de Cassation. Avant de présenter les recommandations de ce rapport (partie 2), il est utile d’évoquer et l’origine et le contexte de la mission confiée à ce haut magistrat. L’analyse de notre juriste.

Origine et contexte de la mission

Les plateformes numériques et la situation des travailleurs qu’elles emploient ont déjà été l’objet de nombreux rapports commandés par les Pouvoirs Publics français, par l’Union Européenne, par l’OCDE, par l’OIT… L’intérêt porté à ces nouveaux types d’entreprises et d’emplois tient sans doute moins à leur importance quantitative instantanée (dont l’évaluation prête à discussion du fait de l’extrême variété des niveaux d’emploi), qu’à la rapidité de leur développement et, surtout, à la manière dont les plateformes gèrent ces emplois. Aux travailleurs qu’elles utilisent elles imposent d’adopter un statut de travailleur indépendant (micro-entrepreneurs) qui ne correspond pas nécessairement à leurs conditions concrètes d’emploi et qui se caractérise par son extrême précarité. Cependant, ces plateformes contribuent au développement de certains services, tels que le transport de personnes à la demande et la livraison de marchandises, et elles recrutent massivement des jeunes qui peinent à trouver par ailleurs une place sur le marché du travail.

Entre des travailleurs qui obtiennent des tribunaux, comme dans plusieurs autres pays, la requalification en contrat de travail de la relation qui les lie aux plateformes numériques, et celles-ci selon lesquelles le salariat de leurs travailleurs serait incompatible avec leur modèle économique, les pouvoirs publics recherchent depuis plusieurs années les moyens d’une sécurisation juridique de cette relation. Il faut souligner toutefois que cet objectif est poursuivi constamment avec le parti-pris d’apporter aux travailleurs des plateformes numériques une protection sociale sans remettre en cause le statut de travailleurs indépendants qui leur a été imposé.

C’est ainsi qu’ont été introduits dans le code du travail par la loi du 8 août 2016 (n°2016-1088) l’obligation pour la plateforme de prendre en charge la moitié de la cotisation à l’assurance des accidents du travail souscrite par les travailleurs, à moins qu’elle les ait elle-même couverts en souscrivant un contrat collectif d’assurance comportant des garanties équivalentes (art. L.7342-2 C. Trav.), et par celle, dite « loi d’orientation des mobilités », du 24 décembre 2019 (n°2019-1428) des dispositions qui confèrent aux travailleurs un droit à la formation permanente (art. L.7342-3), qui lui garantissent l’exercice du droit de grève (art. L.7342-5), qui leur reconnaissent le droit de constituer une organisation syndicale et d’y adhérer afin de faire valoir leurs intérêts collectifs (art. L.7342-6) et un droit d’accès aux données relatives à leur activité, détenues par la plateforme (art. L.7342-7).

S’agissant des travailleurs « en lien avec des plateformes (numériques) » exerçant une activité de « conduite d’une voiture de transport avec chauffeur » ou de « livraison de biens au moyen d’un véhicule, motorisé ou non », leurs droits et leurs obligations, ainsi que les modalités d’exercice de la responsabilité sociale de la plateforme peuvent être définis unilatéralement par celle-ci dans une « charte » sans que l’existence de cette dernière puisse être regardée comme le signe d’un lien de subordination entre travailleur et plateforme, dès lors qu’elle porte au moins sur huit thèmes énumérés par la loi et que cette charte a été homologuée par l’administration (art. L.7342-9).

Le texte adopté par le Parlement allait plus loin. Il excluait que soit caractérisé un lien de subordination entre travailleur et plateforme, non seulement par l’établissement de la charte, mais aussi, par « le respect des engagements pris par la plateforme ». Il s’ensuivait que toute requalification en contrat de travail de la relation entre les deux parties, fondée sur la réalité de cette relation, était exclue a priori. Cependant, le Conseil Constitutionnel a censuré cette partie de la disposition, au motif qu’« en permettant aux opérateurs des plateformes de fixer eux-mêmes les éléments de leurs relations avec les travailleurs indépendants qui ne pourront être retenus par le juge pour caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique et donc d’un contrat de travail, le législateur leur a permis de fixer des règles qui relèvent de la loi, (le législateur) a donc méconnu sa compétence » (C. Constit. Décision n°2019-794 DC du 20/12/2019).

Les relations entre plateforme et travailleur restaient donc, même en présence d’une charte dûment homologuée, susceptible d’être requalifiées en contrat de travail si l’analyse des conditions concrètes d’emploi traduisaient une subordination juridique du travailleur à la plateforme.

L’article 48 de la même loi habilitait le gouvernement à déterminer par Ordonnance les modalités de représentation des travailleurs indépendants employés par les plateformes visée à l’article L.7342-1 du code du travail. Estimant que cette question avait pris « une acuité particulière » par suite de la décision du Conseil Constitutionnel, le Premier ministre a chargé J-Y FROUIN de « définir les différents scénarios envisageables pour construire un cadre permettant une représentation des travailleurs des plateformes visées à l’article 48 et les prérogatives de cette représentation ».

Toutefois, le 4 mars 2020 (n°19-13316 FP.P+B+R+I), la chambre sociale de la Cour de Cassation a rendu, en conclusion d’un litige qui opposait la société UBER à l’un de ses chauffeurs, un arrêt auquel l’ampleur de sa publicité et la précision de sa motivation conféraient le caractère d’une décision de principe. La haute juridiction rejetait le pourvoi que la plateforme avait formé contre un arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui avait requalifié en contrat de travail le contrat d’un chauffeur après constaté au terme d’une analyse détaillée que la plateforme avait en fait le pouvoir de diriger le travail du chauffeur, d’en contrôler et d’en sanctionner l’exécution, ce qui caractérisait l’existence d’un lien de subordination juridique entre les deux parties, de sorte que le statut de travailleur indépendant était fictif.

Le 4 juin, considérant que la question de la « sécurité juridique du statut des travailleurs intervenant sur les plateformes se posait avec une plus grande urgence depuis (cet arrêt) », que la crise sanitaire et économique pose avec plus d’acuité la question des protections sociales et économiques dont ils ont besoin, et que, dans la perspective d’un prochain sommet européen consacré aux travailleurs des plateformes, la France doit être en mesure d’apporter une contribution à la régulation des conditions d’emploi de ces travailleurs, le Premier Ministre a élargi la mission de J-Y Frouin. En complément de la mission initialement confiée à ce haut magistrat, il lui était demandé « de définir les voies et moyens permettant de sécuriser juridiquement les relations contractuelles et les contrats collectifs entre les plateformes et ces travailleurs et d’identifier les pistes permettant de renforcer le socle de droits dont bénéficient les travailleurs des plateformes, sans remettre en cause la flexibilité apportée par le statut d’indépendant ».


Partie 2 : Les recommandations formulées en conclusion du rapport.
https://www.clesdusocial.com/reguler-les-plateformes-numeriques-de-travail-recommandations-du-rapport-Frouin