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Élection et dialogue social pour les travailleurs des plateformes de mobilité

mercredi 8 juin 2022

Les travailleurs des plateformes de mobilité (VTC et livreurs à 2 ou 3 roues) sont maintenant plus de 120 000, nombre important. Nouveaux types d’emplois, peu définis et organisés depuis leur création, leurs conditions de travail sont souvent difficiles, liés à un algorithme, avec jusque-là peu de droits sociaux.

Des premiers éléments de législation ont été introduits, les premières élections viennent de se dérouler et la dernière ordonnance (6 avril 2022) a défini le droit à la négociation collective, apportant des améliorations aux conditions de ces travailleurs. Parallèlement à cette actualité récente en France, la Commission européenne propose une directive d’une conception un peu différente.

Les premières élections des travailleurs des plateformes

Elles se sont déroulées du 9 au 16 mai par scrutin sur sigles d’organisations et vote numérique pour les deux secteurs (VTC et livreurs). Cette fois-ci, les représentants auront un mandat de 2 ans, et ce sera 4 ans ensuite, comme pour les élus des CSE.

La nouvelle Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi (ARPE) était chargée de leur organisation : liste des organisations pouvant se présenter et préparation du vote. Ont eu le droit de se présenter syndicats ou associations de représentation de ces travailleurs, présentant les mêmes critères que ceux demandés dans le droit du travail pour les syndicats, sauf l’ancienneté.

Pour être déclarées représentatives cette première fois, les organisations devaient obtenir au moins 5 % des voix. Ce sera 8 % à partir de la 2ème élection. Et chaque organisation représentative désignera 3 représentants.

Ces élections essuyant les plâtres et encore peu connues par les intéressés, il y a eu une très faible participation. Mais aucun quorum n’était exigé et les résultats ont été publiés.

Secteur 1 : VTC (en %) Secteur 2 : livreurs (en %)
AVF (Association des VTC de France) 42,81 FNAE (autoentrepreneurs) 28,45
Union-Indépendants (partenaire de la Cfdt) 11,51 CGT 27,26
ACIL (chauffeurs indépendants lyonnais) 11,44 Union-Indépendants 22,32
FO 9,19 Sud-Commerces 5,69
FNAE (autoentrepreneurs) 8,98
CFTC 8,84
UNSA 7,23



Pour les VTC, toutes les organisations candidates sont représentatives. Pour les livreurs, seules 4 sur les 9 candidates le sont devenues.

L’ordonnance du 6 avril et l’organisation de la négociation collective

Progressivement à partir de 2016 une nouvelle réglementation avait créé l’obligation pour l’entreprise de financer la moitié d’une assurance des accidents de travail, un droit à la formation permanente, celui de se syndiquer et de mener une action collective, un droit d’accès aux données de leur activité, le principe d’une représentation collective et la création d’une Autorité publique (ARPE : Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi) chargée d’organiser les élections de ces représentants et de réguler le dialogue social dans ces secteurs). La nouvelle ordonnance, complétée par des décrets du 26 avril, en plus d’organiser les règles de représentativité qui ont servi dès ces élections, et celle des organisations patronales des plateformes, définit le droit à la négociation collective et ses modalités pour ces secteurs.

— La protection des représentants
Ils ne pourront être démis de leur contrat commercial qu’après l’autorisation de l’ARPE. La plateforme doit motiver la rupture et une enquête contradictoire sera effectuée. De même, en cas de baisse d’activité, le travailleur pourra demander réparation au juge judiciaire.

Les représentants auront droit à indemnisation du temps passé en formation au dialogue social (12 jours annuels au maximum) et en délégation par l’ARPE.

— Le droit à la négociation collective
En gros, on prend le droit du travail et on l’adapte à ces nouveaux travailleurs en contrat commercial. Une commission de négociation va être créée dans chaque secteur. Quatre sujets de négociation obligatoire par secteur sont arrêtés par l’ordonnance, les 2 premiers devront être négociés dans les 2 ans, et chaque année au moins 1 des 4 devra être négocié :
 les conditions de détermination des revenus des travailleurs, y compris le prix de leur prestation de services ;
 les conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs ;
 la prévention des risques professionnels et les dommages causés aux tiers ;
 les conditions de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels.
Des accords seront aussi possibles sur la protection sociale complémentaire, sur le contrôle de l’activité ainsi que sur les modalités d’échange d’informations entre la plateforme et les travailleurs et les garanties du travailleur dans ce cas.

Les accords sont à durée déterminée, durée qu’ils peuvent fixer dans le texte ; à défaut ce sera 5 ans. Un accord, pour être valable, doit avoir obtenu la signature d’organisations représentatives représentant au moins 30 % des travailleurs et l’absence d’opposition d’organisations en représentant 50 %. Il s’applique aux plateformes adhérentes aux organisations signataires, mais si une organisation patronale ou des travailleurs d’un secteur le demande, l’ARPE peut décider de son homologation et dans ce cas l’accord devient obligatoire pour toutes les plateformes.

Ajoutons aussi que l’ARPE aura une fonction de médiation si elle est saisie par un représentant ou par une plateforme pour un litige concernant l’application des accords. Elle devra aussi accompagner le développement du dialogue social, mener des études et enquêtes analysant les conditions d’exercice de ces activités pour l’alimenter et exercer un rôle d’expertise dans l’objectif de la construction d’un « corpus de droits sociaux » pour ces travailleurs.



Par l’ensemble de ces règles et modalités, on décrypte facilement que la France choisit, pour ces nouveaux types d’emplois, contrairement à l’Espagne qui a opté pour le statut de salarié [1], ou le Royaume-Uni qui privilégie un statut intermédiaire de « travailleur » [2], le statut de travailleur indépendant, avec la préoccupation de leur assurer plus d’autonomie, un dialogue social avec négociation d’accords et des droits sociaux se rapprochant de ceux des salariés. En cela, la France se différencie aussi du projet de directive que la Commission européenne a présenté le 9 décembre 2021, qui doit être examinée par le Parlement et le Conseil et qui tend vers un statut de salarié. Il faudra suivre ces débats et votes au niveau de l’UE et voir comment cela s’articulera avec le système que met en place la France.

Proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme

Ce projet comprend pour l’essentiel 3 groupe de mesures, dont le premier est déterminant.

Le statut professionnel : l’objectif de la Commission est de faire que le statut juridique d’un travailleur de plateforme corresponde à ses réelles modalités de travail. Pour cela elle définit 5 critères de la relation travailleur-plateforme :
 détermination de limites supérieures de rémunération par la plateforme ;
 exigence de règles impératives en matière d’apparence, de comportement à l’égard du destinataire du service ou d’exécution du travail ;
 supervision de l’exécution du travail et contrôle des résultats, y compris par des moyens électroniques ;
 restriction de la liberté d’organiser son travail, de choisir son horaire, ses absences, d’accepter ou non des tâches ou de recourir à des sous-traitants ;
 restriction de la possibilité de se constituer une clientèle ou d’effectuer des travaux pour un tiers.
Si la plateforme remplit au moins 2 de ces critères, elle est juridiquement un employeur et le travailleur un salarié.

La transparence dans l’utilisation des algorithmes est un 2ème objectif pour garantir un suivi humain du respect des conditions de travail, avec contestation possible des décisions automatisées.

La transparence des données des plateformes par la clarification des obligations de déclaration de travail et la transmission des informations essentielles aux autorités nationales.

Références

  • Ordonnance n° 2022-492 du 6 avril 2022 renforçant l’autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilité, portant organisation du dialogue social de secteur et complétant les missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi :
    https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045522912

Déjà parus dans Clés du social