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Les clés du social : L'effondrement du travail des peu qualifiés

L’effondrement du travail des peu qualifiés

Publié le 31 mai 2025 / Temps de lecture estimé : 5 mn

C’est l’objet de l’étude du Conseil d’Analyse Economique intitulée - Objectif « plein emploi » : pourquoi et comment ? - Focus n°110 de mars 2015 [1].

La situation

Le nombre total d’heures de travail des peu qualifiés a chuté de 40 % en 30 ans, une évolution qui ne s’explique pas par des facteurs démographiques, mais par l’effondrement du taux d’activité des moins qualifiés des moins de 55 ans, chez les femmes comme chez les hommes, pointant un éloignement accru de ces populations du marché du travail.
Cette évolution est d’autant plus spectaculaire qu’elle est très spécifique à la France et ne provient pas d’effets de composition par âge. Elle masque en réalité une très forte hétérogénéité par niveau de qualification, la croissance du nombre d’heures de travail est en effet essentiellement portée par les plus qualifiés. Cette tendance est particulièrement prononcée chez les hommes de 16 à 74 ans ayant un niveau d’éducation primaire ou secondaire 1er cycle ou inférieur, qui travaillent en moyenne moins de 600 heures annuelles aujourd’hui, contre plus de 1 400 heures (soit plus de deux fois plus) pour les hommes diplômés du supérieur.
L’écart du nombre d’heures travaillées parmi les diplômés du primaire ou secondaire du 1er cycle révèle que celui-ci provient quasi intégralement de différences de taux d’activité, les moins qualifiés sont donc fortement éloignés du marché de l’emploi et ceci est patent aussi bien chez les femmes, que chez les hommes.

Quelles implications en termes de politiques publiques ?

Des constats qui peuvent aider à clarifier les priorités en termes de politiques publiques.

  • Emploi versus nombre d’heures travaillées
    Le problème en France concerne le taux d’emploi (marge extensive) et non pas le nombre d’heures travaillées par actif en emploi (marge intensive).
    La focalisation du débat sur des politiques qui s’attachent à la marge intensive du travail, du type réduction des jours de congé, dérégulation des heures de travail, défiscalisation des heures supplémentaires semble donc peu pertinente.
    De la même façon, au sein de la marge extensive, les écarts de taux d’emploi sont expliqués en très large partie par des écarts de participation au marché du travail et beaucoup moins par des écarts de taux de chômage.
    La priorité devrait donc être donnée aux politiques qui encouragent la participation plutôt qu’aux politiques exclusivement centrées sur la réduction supplémentaire du taux de chômage.
  • Taux d’emploi : jeunes et seniors
    Les différences de taux d’emploi en France par rapport à nos voisins sont intégralement expliquées par deux groupes, les jeunes et les seniors. Ainsi la contribution des jeunes aux écarts du nombre moyen d’heures de travail par habitant est devenue aussi importante que celle des seniors et va tendre à la supplanter dans les années qui viennent.
    La question du taux d’emploi des jeunes doit donc devenir une priorité de politiques publiques. Elle suppose de repenser l’organisation des parcours éducatifs, de faire des NEET une priorité absolue et de revoir l’ensemble des politiques d’insertion des jeunes sur le marché du travail.
    Pour ce qui est des seniors, si la France a rattrapé son « retard » par rapport aux autres pays sur la population des 55-59 ans, il subsiste un écart substantiel pour les 60-64 ans, qui se résorbe lentement du fait de la montée en charge des réformes passées (augmentation de l’âge d’ouverture des droits, puis réforme Touraine). L’emploi des 65 ans et plus, qui a progressé dans la plupart des autres pays par le biais de la hausse de l’emploi qualifié, reste très minoritaire en France. Une situation qui nécessite de procéder à des réformes qui ciblent efficacement ceux qui sont les plus susceptibles de continuer à travailler et les moins vulnérables.
  • Femmes
    Les écarts de nombre d’heures travaillées entre hommes et femmes, s’ils se sont réduits, restent élevés. La convergence entre hommes et femmes sur le marché du travail semble stagner depuis une quinzaine d’années, alors que le réservoir en termes d’emploi total est considérable. Le cœur du problème demeure l’impact négatif de l’arrivée des enfants sur les trajectoires professionnelles des femmes. Ceci devrait être une priorité des politiques publiques.
  • Le travail des moins qualifiés - l’urgence de passer du constat aux solutions.
    Un constat préoccupant où le travail des peu qualifiés s’effondre, avec des effets négatifs sur l’emploi total, mais aussi en termes d’intégration et de cohésion sociale.
    Il est crucial de mettre cette question en haut de la liste des priorités d’action publique, et de favoriser toute recherche susceptible de poser un diagnostic plus approfondi des causes de cet effondrement, qui fait encore cruellement défaut. Le Conseil d’analyse économique entend poursuivre l’objectif de quantifier précisément les externalités fiscales et les bénéfices sociaux de diverses politiques de l’emploi, de formation et d’accompagnement sur le marché du travail.

En conclusion

  • I. Le timing de l’effondrement des moins qualifiés suggère qu’a priori, le problème fondamental ne provient pas du niveau du coût du travail ou du niveau du Smic. La baisse a essentiellement été enregistrée ces quinze dernières années, une période où les écarts de coûts du travail moins qualifié se sont considérablement réduits avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni (via la poursuite des politiques d’allègements de charges en France, hausse des Smic relatifs en Allemagne et au Royaume-Uni, etc.).
  • II. Le problème n’est sans doute pas lié non plus à la générosité de l’indemnisation du chômage en France. Mais comme le montre l’étude, les écarts sont intégralement expliqués par le faible niveau du taux d’activité des moins qualifiés, et non pas par des différentiels de taux de chômage.
  • III. Il convient de creuser plutôt du côté de la forte proportion de NEET, jeunes sans emploi, ni formation, de leur faible intégration ou des discriminations qui les éloignent du marché du travail.
  • IV. Il faut également creuser du côté des politiques sectorielles et des déterminants de la demande de travail peu qualifié.

Il est impératif de passer en revue les politiques susceptibles d’affecter les gisements de travail, afin de guider efficacement la décision publique, car la France dépense plus que ses voisins dans les politiques de l’emploi, de formation et de marché du travail, pour des résultats plutôt mitigés. Il faut être capable de mesurer le coût ou le bénéfice social des politiques menées, car le choix de l’intensification du travail au détriment d’une politique fiscale plus inclusive du marché du travail n’est pas judicieux.

Le bénéfice social va dépendre de la valeur de la politique pour ces bénéficiaires.
Il peut être positif et élevé si les publics visés ont une forte appétence pour travailler et sont confrontés à des barrières d’accès au marché du travail.
Il peut être négatif s’il est très coûteux pour les individus visés d’augmenter leur offre de travail ou si la politique consiste à réduire des transferts fortement valorisés par leurs bénéficiaires.


Sources


[1Étude menée par le groupe de chercheurs associés aux travaux du Conseil d’Analyses Économique - Antoine Bozio, Paris School of Economics, EHESS, IPP, CAE, Jean Ferreira, CAE, Camille Landais, London School of Economics, CAE, Alice Lapeyre, Mariane Modena, Max Molaro CAE.