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L’économie collaborative : la situation politique des 2 côtés de l’Atlantique (II)

mercredi 23 mars 2016

2. L’économie collaborative aux États-Unis : positions des politiques et avancées des États et des Villes

Le développement de l’économie collaborative entraine de nombreux débats et prises de position et est fréquemment évoqué dans la presse qui fait une large part aux différents conflits professionnels aux États-Unis comme dans le reste du monde. Mais, au pays de la libre entreprise, le phénomène est généralement considéré de façon positive, porteur de nouvelles opportunités d’activité et d’emploi. La flexibilité de l’organisation et des horaires de travail est présentée et vue comme un atout.

Seuls, les syndicats émettent de façon explicite un point de vue différent sur le développement du phénomène en raison du faible niveau de protection sociale attaché au statut d’indépendant. Leur voix est peu entendue dans le débat public compte tenu de leur position de faiblesse actuelle dans le paysage politique et médiatique américain.

Du côté du Président Obama et des démocrates

L’administration Obama se refuse à singulariser l’économie collaborative et à faire des plateformes en ligne un cas particulier. La question des conditions de travail et d’emploi par le biais de ces plateformes doit selon elle être envisagée dans le cadre du droit commun, comme le préconise d’ailleurs le rapport Terrasse. Pour le ministère du Travail, le travail à la tâche préexistait à l’arrivée des plateformes. Aussi le caractère abusif ou non d’une relation de prestation de services ou de travail doit être apprécié au cas par cas, sans préjugé lié au contexte dans lequel elle s’exerce, économie à la demande ou économie classique.

Deux raisons contribuent à expliquer cette grande prudence de l’administration et ce refus de jeter l’anathème sur les plates-formes en ligne. La première est la crainte d’être accusé d’archaïsme, ce que ne manquent pas de faire les Républicains, et de paraître vouloir entraver le développement d’activités innovantes. La deuxième raison est le souci de ne pas détourner l’attention de ce qui constitue son cœur de cible c’est-à-dire les conséquences de l’externalisation par les entreprises d’une part croissante de leurs activités, notamment par la transformation de relations de travail salarié existantes en relations de prestation de services. Phénomène qui concerne les secteurs de l’économie traditionnelle (comme par exemple le BTP…) et auquel l’administration Obama s’est résolument attaquée.

Il faut par ailleurs rappeler que le cadre constitutionnel américain ne permet pas au gouvernement de présenter des projets de loi. La réflexion de l’administration se déploie donc dans le cadre de la législation existante dont elle assure l’exécution.

Hillary Clinton, la candidate à l’investiture démocrate, s’est exprimée sur le sujet l’été dernier. Elle n’a pas stigmatisé l’économie collaborative. Elle a ainsi considéré que la Gig economy, (nom usité sur cette question aux USA) « créait des opportunités excitantes et libérait l’innovation » mais qu’elle « soulevait des questions difficiles concernant la protection des travailleurs » et s’est interrogée sur « ce à quoi pourrait bien ressembler un emploi de qualité dans le futur ».

Ces propos prudents et prospectifs ont entrainé de nombreuses critiques et sarcasmes du côté républicain qui ont fustigé son supposé archaïsme.

Du côté des Républicains

Les Républicains font l’apologie du modèle Uber et voient dans l’économie collaborative une nouvelle manifestation de l’esprit d’entreprise américain, porteuse de croissance et d’emploi, qu’il importe de laisser se développer librement en évitant des réglementations qui en casseraient le ressort. Un programme que l’on trouve résumé dans le dernier ouvrage publié par Marco Rubio, sénateur de Floride et candidat à l’investiture républicaine, dont l’un des chapitres porte le titre “Making America Safe for Uber.”

Les Républicains, hostiles à la réglementation par principe, le sont encore plus à la réglementation des conditions de travail et d’emploi, considérée comme un fardeau pour les entreprises et une entrave à la compétitivité. Ils sont actuellement majoritaires dans les deux chambres.

Cela bouge du côté des États et des collectivités territoriales

Les États-Unis sont un pays fédéral et c’est au niveau des États ou des collectivités locales que des réformes législatives pourraient être envisagées sur le sujet, comme d’ailleurs plus généralement en matière de travail et d’emploi où ces autorités ont été les principaux moteurs de changement dans les années récentes. Ainsi, l’État de Californie vient de requalifier une conductrice Uber avec un contrat de travail salarié.

La question très spécifique de la représentation des travailleurs de l’économie collaborative

Le cadre juridique de droit commun ne permet pas aux travailleurs de l’économie à la demande, considérés comme indépendants, d’être représentés pour négocier avec les plateformes en ligne. Jusqu’alors peu évoquée en dehors des syndicats eux-mêmes, cette question a pris une certaine ampleur avec la mobilisation des conducteurs Uber en Californie mécontents des dernières décisions de rémunération et de la gestion de la liste des conducteurs habilités. Cette mobilisation a pris la forme du lancement d’une class action pour obtenir la requalification en termes de contrat de travail salarié de la relation entre Uber et ses « partenaires » conducteurs. L’État de Californie vient de déposer une proposition de loi visant à permettre la représentation collective des travailleurs des plateformes en ligne.

Sur la Côte Nord-Ouest, à Seattle, l’action des chauffeurs appuyés par les syndicats a abouti à l’adoption par la Ville, le 10 décembre 2015, d’une législation permettant la représentation collective des conducteurs indépendants transportant des particuliers, qu’ils travaillent via les plates-formes en ligne type Uber et Lyft ou sous la forme de taxis classiques.

Il est plus que probable que la décision sera portée en justice.

Enfin, à New York des conducteurs ont le projet de mettre en place leur propre plateforme concurrente de celle d’Uber.

Conclusion
Statut des travailleurs, portabilité des droits, protection sociale, représentation collective, implications fiscales…, on le voit bien, les sujets sont communs des 2 côtés de l’Atlantique. De manière générale, on peut relever que les politiques voient l’économie collaborative comme un moyen de développement de l’économie et d’innovation et que le droit commun est privilégié pour résoudre les conflits et problèmes. Enfin et comme dans bien des législations sociales, c’est aussi la jurisprudence qui entrainera des changements sociaux.