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Capital humain et formation devraient être inscrits à l’actif des entreprises

samedi 10 octobre 2020

Nous avions publié le 14 mars dernier un article intitulé « Les normes comptables au service du social et de l’environnement » [1]. Il s’agissait de reprendre les règles régissant les entreprises et de définir une notion de performance globale qui prenne en considération le développement durable et intègre l’idée de normes mesurant à la fois la performance économique, mais également sociale et environnementale.

La santé financière d’une entreprise est évaluée à partir d’une norme partagée universellement, la comptabilité qui évalue sa situation et ses résultats économiques. Dans cette optique, seul le capital financier est mis en avant, ignorant le capital naturel - consommation des ressources, écosystèmes… - et humain - formation, conditions de travail… - que génère naturellement une entreprise.
Ces règles de présentation comptable définissent dans un « bilan » l’utilisation des ressources - actif - ainsi que leur financement par fonds propres ou endettement - passif -. Les normes comptables actuelles ignorent les domaines pourtant essentiels de l’environnement et du travail, uniquement identifiés sous l’angle d’une dette et d’une charge.

Nous allons ici définir comment déterminer la création d’une « valeur sociale » et envisager une norme certifiant la performance sociale d’une entreprise, au travers d’une démarche volontaire de recherche de labellisation que reconnaîtrait l’État. Ce fût d’ailleurs une demande formulée par la CPME, à savoir obtenir la reconnaissance d’un label RSE, ou l’objet d’une proposition de loi en 2019 qui n’a pas abouti.
Les bénéfices attendus par une entreprise et reconnus par ses parties prenantes sont à évaluer au regard d’un apport visant à motiver les collaborateurs et attirer de nouvelles compétences, améliorer les conditions de travail et la qualité de vie au travail, s’attacher à la mise en œuvre d’un management participatif et prenant en compte les diversités, enfin innover et s’inscrire dans une dynamique territoriale.

Le Mouvement des entreprises sociales et solidaires a défini récemment un nouvel outil, base commune d’engagements et d’actions, à partir d’expertises existantes et pouvant conduire à une transformation d’un modèle d’entreprise qui préserve le capital humain, « l’Impact Score ».
Nous sommes à un moment décisif pour les entreprises qui se trouvent contraintes à assurer le rétablissement de leur activité économique, gravement mis à mal par la crise sanitaire engendrant une sérieuse dégradation financière et sociale. Leur responsabilité sera éprouvée, particulièrement au regard de leur capacité à assumer la fonction sociale qu’elles revendiquaient jusqu’alors. Il est évident que cette responsabilité ne peut être assurée qu’avec le concours des pouvoirs publics, des partenaires sociaux et de toutes leurs parties prenantes.

S’agissant de la crise Covid-19, les activités n’ont pu reprendre sereinement qu’avec la confiance des salariés et des organisations syndicales vis-à-vis des mesures prises par les entreprises, permises par la responsabilité partagée d’une organisation faite dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire. L’épidémie a aussi remis au centre des actions de redressement la solidarité nationale s’exprimant entre autres dans les mesures de soutien et de relance prises par les pouvoirs publics qui doivent théoriquement garantir la survie des entreprises, qu’elles aient été aidées ou pas.

Considérer le travail comme un actif immatériel

Chaque salarié apporte lors de son parcours dans une entreprise ses compétences et savoir-faire qui lui sont reconnus. Ces capacités se traduisent par une valeur ajoutée propre, essentielle au résultat économique formé par les produits d’une activité qui ne se mesure pas essentiellement en fonction des charges générées. Cette approche conduit à rapprocher les composantes du travail, non seulement comme le résultat d’un seul exercice comptable mais aussi comme un potentiel économique, si l’on se projette sur les exercices futurs. Par assimilation à des coûts de recherche et développement, il y a de fait une création d’actif immatériel, essentiel à la vie et la continuité d’une entreprise. Nous voyons bien qu’en cette année 2020, de lourdes menaces pèsent sur la pérennité de nombre d’entreprises et le maintien de l’emploi.

Nous savions déjà que la nature des emplois, et le capital humain dégagé, étaient remis en cause, dans bien des domaines, par de nécessaires transformations rendues nécessaires par la transition numérique et écologique. La réforme de la formation professionnelle mise en œuvre et les mesures de la loi de 2018 qui accompagnent ce besoin de formation des salariés, revêtent maintenant, en conséquence de la crise sociale actuelle, une importance capitale tant le nombre de salariés en recherche d’emploi - reclassement et/ou formation à de nouveaux métiers - va considérablement augmenter dans les prochains mois et années.

Inscription comptable de dépenses de formation à l’actif du bilan

Les dépenses de formation seraient éligibles à une inscription comptable à l’actif du bilan, sur option, afin de pouvoir les amortir sur plusieurs années. Cette disposition émane d’un règlement de l’autorité des normes comptables, en cours d’homologation, porteur d’une avancée significative des normes comptables relatives au coût du personnel et sa valorisation, en l’espèce sur la formation professionnelle.

Ce projet de décembre 2019 vise à modifier e règlement ANC N°2014-03 relatif au plan comptable général, en lui apportant deux novations. Premièrement : rendre une partie de la formation amortissable. L’ANC (Autorité des normes comptables) propose de modifier les articles 213-8 et 213-22 du plan comptable général, afin que « les frais externes afférents à des formations nécessaires à la mise en service d’une immobilisation corporelle ou incorporelle », puissent être « sur option de l’entreprise », soit « comptabilisés en charges » (ce qui se fait aujourd’hui), soit « rattachés au coût d’acquisition de l’immobilisation » (donc ouvrant droit à amortissement sur plusieurs années, c’est la nouveauté).

Concrètement, seule toute formation externe livrée avec l’achat d’un outil de production quelconque (actif matériel : par exemple informatique, machines-outils…) pourrait alors être comptabilisée en actif immobilisé de l’entreprise, donnant droit à amortissement - lissage de la charge de formation sur plusieurs années - excluant en revanche, les formations internes non éligibles à ce traitement.

Informations dans l’annexe des comptes de données de formation :

Ce projet de règlement de l’ANC apporte une autre novation, l’ajout dans l’annexe des comptes des informations relatives à la formation professionnelle. L’ANC propose ainsi d’insérer un paragraphe 15 à l’article 833-20 du plan comptable général. L’entreprise pourrait y mentionner les montants investis en formation professionnelle - sur l’exercice, l’exercice précédent, au cours des trois derniers exercices -, en indiquant le cumul amorti sur trois exercices. De même que la répartition de ces montants dans les principaux postes du compte de résultat ou du bilan (si amortissement), le rapport entre dépenses formation et masse salariale, le nombre d’heures de formation constatées et la part des salariés ayant bénéficié d’une formation au cours de l’exercice.

En clair, l’intérêt de l’information de la formation en annexe des comptes est d’informer sur la manière dont l’entreprise entretient son capital compétences, enjeu majeur de la compétitivité.

Les entreprises seront dorénavant scrutées, selon des normes établissant des critères de rigueur de l’information financière, sur le respect d’une valorisation du capital humain contribuant à leur rentabilité présente et future, et le rappel de leur raison d’être et de leur utilité sociale. On cherchera davantage à évaluer et apprécier ce que produit sur le long terme l’entreprise, ses impacts positifs ou négatifs quant à ses apports, comme ses destructions d’emploi.

Il est à noter que cette notion de capital humain trouve sa limite dans le fait que l’entreprise employeur « ne détient pas » ses salariés, elle les emploie. Cela implique que l’élément déterminant de cet actif de capital humain, ressource pour le futur, est la capacité des salariés ou ceux en cours de recrutement à se motiver, s’adapter au progrès et évoluer par la formation professionnelle.

Selon plusieurs approches d’experts, le capital est considéré comme la dette de l’entreprise envers ses apporteurs de fonds qui doivent être maintenus et il est appréhendé uniquement dans sa dimension financière.
Qu’il s’agisse de fonds investis, ou dans le temps, de maintien en poste de salariés ou de préservation de ressources environnementales, les principes traditionnels de la comptabilité et ses normes internationales actuelles ne s’appliquant aujourd’hui qu’au capital financier pourraient devoir s’appliquer à l’ensemble des ressources à valoriser monétairement pour maintenir toutes les ressources dans le temps.