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Grippe aviaire : Les conséquences pour l’emploi et les modèles de production de la filière foie gras

samedi 15 avril 2017

Depuis le mois de novembre 2016 où le premier cas de grippe aviaire (H5N8) a été confirmé sur un canard sauvage du Pas-de-Calais, la filière foie gras vient de vivre 5 mois catastrophiques alors qu’elle se remettait à peine de l’épizootie de 2015. Les conséquences pour les producteurs, les coopératives, les entreprises mais aussi les abattoirs, les entreprises de fabrication et de commercialisation et leurs salariés sont très importantes. Le Sud-Ouest est particulièrement touché. Les pouvoirs publics ont mis en œuvre une série de mesures d’urgence, dont 6 semaines de « vide sanitaire » à partir du 17 avril, destinées à passer le cap. Au-delà, il semble utile d’interroger les modèles de production et les modes de consommation pour éviter une autre catastrophe annoncée.

Les mesures prises par les pouvoirs publics

Le Sud-Ouest de la France est la principale région française d’élevage de palmipèdes à foie gras avec quelque 3 000 exploitations. Il est particulièrement concerné par cette nouvelle crise. Dans la grande zone réglementée du Gers, des Landes, des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées, la stratégie d’abattage s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Afin de casser le cycle de diffusion du virus, les pouvoirs publics ont décidé la mise en place d’un vide sanitaire général sur les élevages de palmipèdes dans la grande zone réglementée. Le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog) estime la perte à près de 9 millions de palmipèdes, soit le quart de la production française. Les 18 départements touchés par la zone de restriction représentent 80 % de la production française de foie gras.

Les conséquences économiques

Selon l’interprofession du foie gras, cette épizootie va coûter 120 millions d’euros aux éleveurs et industriels de la filière foie gras. Les plus touchés seront vraisemblablement les petits producteurs qui ne disposent pas de la trésorerie et de la gamme de production variée des 3 grandes coopératives qui se partagent le marché (70 %) : Vivadour, Lur Berri et Euralis. Il y a un risque réel de fermetures de petites exploitations. Du côté des salariés, des conséquences sont à prévoir à cause des fermetures d’abattoirs ou d’exploitations. Ainsi dans le Gers, les abattoirs de Saramon ont décidé de mettre en chômage partiel leurs 103 salariés. De même, les ateliers de transformation subissent également un chômage technique ou des licenciements, avec les conséquences sociales pour les nombreux salariés de ce secteur.

Les fournisseurs seront aussi touchés. Selon Coop de France nutrition animale et le Snia (les entreprises de nutrition animale), 250 000 tonnes d’aliments ne seront pas fabriqués à la suite des mesures de vide sanitaire. Cela représentera une perte nette d’exploitation de 8,5 millions d’euros pour leur secteur. Pour Michel Prugue, président de Coop de France, il faut s’attendre à une baisse de 25 % des volumes en 2017 et à une hausse des prix de l’ordre de 15 %. Les conséquences économiques se verront aussi à l’exportation car de nombreux pays d’Afrique et d’Asie ont déjà fermé leurs frontières aux volailles françaises. Enfin, en termes de consommation, la filière s’attend à une diminution et à une perte d’attirance pour le produit canard et foie gras car son image est abimée. C’est donc le présent comme le futur de la filière qui est touché.

Les aides publiques du gouvernement et des conseils régionaux

Le montant des aides du gouvernement s’élèvera à 180 millions d’euros et dans l’attente des aides européennes de la PAC, il aidera les producteurs avec des avances de trésorerie. Les Conseils régionaux sont également intervenus. Ainsi la Nouvelle-Aquitaine a établi un accompagnement personnalisé des entreprises les plus vulnérables, en leur accordant des avances de trésorerie. De même, des formations seront proposées aux salariés mis en chômage technique pour leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences. Enfin, des mesures de soutien à l’export viendront probablement s’ajouter à ces aides.

Une remise en question des modes de production et de consommation

Dans un article paru dans The conversation, Nathalie Fabbe-Costes, professeur en sciences de gestion à Aix-Marseille Université nous invite, à propos de cette crise, à « une relecture de type « chronique d’une mort annoncée » à la lumière des sciences de gestion », en se demandant comment en est-on arrivé là, pourquoi cela pourrait-il se reproduire et de formuler, pour éviter de recommencer, certaines recommandations qui nous concernent tous !

Pour elle, « tant qu’il y aura des consommateurs pour acheter un produit, il y aura des entrepreneurs pour satisfaire cette demande et tant que le consommateur ne sera pas plus exigeant sur les conditions de production de certains produits, tant qu’il recherchera d’abord le prix bas, et qu’il ne s’interrogera pas plus sur les conséquences de son comportement de consommateur, il n’y a pas de raison de remettre en question l’organisation de la chaîne ».

Nathalie Fabbe-Costes indique que cette désintégration de la chaîne de production (au sens large) et sa répartition sur un espace élargi s’accompagnent inévitablement de séquences de transport et de manutention voire de stockage, pour relier les opérations de production proprement dites. Cette chaîne logistique qui entraine une dilution des responsabilités comporte des risques, souvent négligés, lorsque seule prévaut la logique du moindre coût.

Pour elle, ces risques « deviennent inéluctables et désastreux dès lors qu’ils concernent des flux massifiés et regroupés sur un territoire particulier ». Les risques de contamination croisée et d’effets systémiques deviennent plus probables dans un tel contexte. Elle est rejointe dans son analyse par la Confédération paysanne qui parle d’un « système à revoir » : « On a voulu imposer des « process » industriels dans cette filière comme une usine », regrette-t-elle.

La crise (qui n’en est pas une pour Nathalie Fabbe-Costes) met en lumière la faillite d’un système que de nombreux observateurs dénoncent aujourd’hui. Les évolutions pour le futur repose pour elle sur l’évolution du comportement du consommateur (celui qui « tire » la chaîne logistique) ou sur l’intervention du législateur (celui qui l’autorise et l’encadre).

Le ministère partage la même analyse

Stéphane Le Foll a insisté sur l’impérieuse nécessité de tirer les enseignements de la crise actuelle. Ce nouvel épisode doit conduire la profession à revoir l’organisation des flux et des pratiques au sein de la filière palmipèdes du Sud-Ouest. Il a indiqué que l’État apporterait à la filière l’appui technique nécessaire pour qu’elle mette en œuvre une organisation sécurisée sur le plan sanitaire et économiquement viable. De plus il attend de la filière avicole qu’elle renforce le dispositif FMSE (Fonds National Agricole de Mutualisation du Risque Sanitaire et Environnemental) afin qu’il puisse dans l’avenir apporter un soutien aux éleveurs à la hauteur des risques encourus.

À l’heure du développement durable, des réflexions sur les filières courtes, sur les nouveaux modes de production et de consommation et sur la responsabilité sociale, économique et écologique des entreprises, la crise de la filière foie gras nous interpellent tous.


Sources :