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Retraite : le gouvernement a choisi le 49-3

mercredi 4 mars 2020

Le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé le 29 février que le gouvernement utilisera l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter le texte sur la réforme des retraites. Cet article, dit d’ « engagement de responsabilité », permet au gouvernement de faire passer le texte qu’il présente, sans vote, sous couvert du rejet de la ou des motions de censure que l’opposition dépose, ce qui est advenu mercredi 4 mars au petit matin. Depuis 1958, année du vote de la Constitution de la Vème République, les gouvernements y ont eu recours plus de 80 fois, mais c’est la première fois sous le mandat présidentiel d’Emmanuel Macron. L’annonce a suscité de nombreuses réactions négatives, en premier lieu des oppositions mais aussi des syndicats tant ceux opposés à la réforme que ceux qui y sont davantage favorables.

Le contenu de l’article 49-3

Il prévoit que « le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. [...] Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ». Le gouvernement a estimé que la loi sur les retraites devait être adoptée dans l’urgence alors que les débats parlementaires ne vont pas dans ce sens.

Le contexte historique de la Constitution de 1958

Pour comprendre l’origine de cet article il faut évoquer le contexte politique et historique de cette période d’après-guerre. La Constitution est rédigée en pleine guerre d’Algérie et a pour but de mettre fin à l’instabilité gouvernementale et au risque de coup d’État militaire. Elle devait aussi protéger la France de l’instabilité parlementaire qui avait marqué notre pays avant la deuxième guerre mondiale et jusqu’en 1958. Deux hommes ont particulièrement pesé dans son orientation, Michel Debré marqué par l’expérience britannique et bien sûr le général de Gaulle qui voulait faire du Président de la République le garant des institutions. Le futur Premier ministre Michel Debré expliquait, devant le Conseil d’État le 27 août 1958, avoir prévu dans le texte « une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable ». Il s’agissait du 49-3.

Une utilisation régulière des différents gouvernements

Le 49-3 a été utilisé par de nombreux gouvernements. 88 ou 87 fois au total, les chiffres divergent, avec malgré tout de grandes différences suivant les gouvernements. Michel Rocard, premier Ministre de 1988 à 1991, est celui qui bat les records, avec 28 recours, par manque de majorité. Mais Raymond Barre, Jacques Chirac et Edith Cresson l’ont aussi beaucoup utilisé (8 fois), sans compter Pierre Mauroy ou Manuel Valls… Quelques exceptions : Lionel Jospin et François Fillon. Cette procédure est habituellement utilisée lorsque l’exécutif dispose d’une majorité faible au Parlement. Ce n’est pas le cas pour l’actuel gouvernement, qui a choisi de mettre en avant « l’obstruction parlementaire » d’une partie de l’opposition, en l’occurrence la France insoumise et le Parti communiste.

Et maintenant ?

Les motions de censure de la gauche (PS, LFI, PC) et des Républicains ont été soumises à un vote dans les 48 heures ce que prévoit la loi. Elles n’ont pas obtenu la majorité des voix, soit 289 députés.

Le texte du projet de loi passe donc sans vote à l’Assemblée. Le Premier ministre a annoncé que le texte présenté n’est pas le texte initial du gouvernement. Le 49.3 permet au gouvernement de réécrire le texte, en insérant des amendements de la majorité et de l’opposition. De même Edouard Philippe a indiqué que des points négociés avec les partenaires sociaux, en parallèle de l’examen du texte à l’Assemblée, sont introduits dans le texte. Avant le débat, le ministre chargé des relations avec le Parlement avait indiqué que le projet de réforme des retraites avait été enrichi de 350 amendements qui n’étaient pas dans le texte original. Il a cité de nombreux sujets : avocats, droits familiaux, situation des égoutiers, pensions de réversion pour les divorcés et suppression d’un article sensible qui était vu comme une incitation au développement de la capitalisation.

Enfin, à partir du 4 mars débute l’examen du projet de loi organique sur cette réforme des retraites, qui ne comporte pour sa part que cinq articles, mais très importants. En particulier il contient une « règle d’or », imposant l’équilibre financier du système sur une période de cinq années en cumulé et abordera la question de la valeur du point.

L’histoire est-elle complètement écrite ?

Non car le projet de réforme des retraites est attendu en avril au Sénat, où des débats auront lieu puisque le 49.3 n’y est pas applicable. Puis la navette parlementaire se poursuivra avec un retour à l’Assemblée nationale selon la procédure de la seconde lecture, en vue d’une adoption définitive avant l’été. Le gouvernement pourra alors à nouveau avoir recours au 49.3.

De plus, la conférence de financement continue ses travaux et le Premier ministre s’est engagé à tenir compte de ses conclusions dans une lettre adressée aux syndicats. Il les invite à « encore faire évoluer le texte du projet de loi » sur la réforme des retraites, notamment sur la pénibilité, et indique qu’il prendra sinon ses « responsabilités ». Mais la CGT a déjà claqué la porte et FO vient de faire la même chose. Beaucoup de pression sur ceux qui restent !

Un prix politique élevé à payer ?

Alors que le pays est confronté à l’épidémie de Covid-19 qui nécessiterait une cohésion nationale forte, de nombreuses voix s’élèvent pour condamner cette démarche qualifiée de brutale et de censure démocratique. Bien sûr les oppositions qui sont dans leur rôle mais aussi les syndicats opposés à la réforme et qui ont appelé à une journée interprofessionnelle de mobilisation le 3 mars et répèteront l’opération le 31 mars comme ceux plus favorables au système de retraite par points qui expriment leur malaise se sont exprimés en ce sens. Au sein même de LREM des parlementaires ont décidé de quitter le groupe parlementaire.

En conclusion, nul doute que les résultats des prochaines élections municipales et le climat social seront scrutés à la loupe dans les jours qui viennent. Enfin, démarré par une concertation exemplaire, le trajet du projet de réforme des retraites révèle bien des problèmes de notre pays sur la place de la négociation avec les partenaires sociaux comme sur celle de la responsabilité parlementaire et pour finir de la démocratie.