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La réforme des retraites : comment se prépare-t-elle ?

samedi 6 octobre 2018

Une réforme globale des retraites était explicitement annoncée dans le programme électoral du candidat Emmanuel Macron. La phrase désormais célèbre et répétée à l’envie indiquait l’objectif : « Chaque euro cotisé doit donner lieu aux mêmes droits à la retraite ». Ainsi posée, l’ambition place la future réforme sur un registre inédit. Jusqu’à présent l’essentiel des réformes, pour la plupart non annoncées par avance [1], consistaient à modifier les règles, les paramètres de différents régimes afin essentiellement d’en assurer plus ou moins la pérennité financière. Âge de départ, durée ou taux de cotisation, modalités de calcul du salaire de référence ou de revalorisation des pensions…

Ce n’est que progressivement, d’une manière décalée dans le temps et incomplète dans les modalités que ces réformes touchaient l’ensemble des régimes encore aujourd’hui au nombre de 42 si on y inclut les régimes obligatoires complémentaires.

De fait, contrairement à toutes ces réformes passées, l’ambition annoncée par le gouvernement implique la construction progressive d’un régime unique, conservant le principe fondateur de la répartition et s’appuyant sur un système par points. Le caractère systémique de cette réforme a deux dimensions. La première touche au cœur du système en modifiant pour chaque assuré les règles d’acquisition de droits. La seconde dimension est son aspect structurel en dessinant à terme un seul régime pour tout citoyen, indépendamment de sa profession, de son statut ou de ses itinéraires de carrière.

De fait, le caractère annoncé mais inédit et global d’une telle réforme imposait un dispositif spécifique pour assurer en amont les informations, concertations et échanges utiles face à un tel bouleversement sur un sujet aussi sensible et éruptif que demeure la question des retraites.

Le premier acte fut la nomination par le Conseil des ministres du 14 septembre 2017 d’un Haut-commissaire à la réforme des retraites, Monsieur Jean-Pierre Delevoye, auprès de Mme Agnès Buzin, ministre des Solidarités et de la santé. Entouré d’une équipe réduite de dix spécialistes reconnus, ce Haut-commissariat a pour mission d’ « organiser la concertation avec les principaux acteurs du champ des retraites et de coordonner au niveau interministériel les travaux de préparation de la réforme des retraites, de rédaction des projets législatifs et règlementaires et de suivi de leur mise en œuvre » [2] .

Le calendrier

Le Président de la République, Emmanuel Macron a précisé le calendrier de cette réforme au cours de son discours du 13 juin 2018 devant le 42ème congrès de la Mutualité Française à Montpellier. Les modalités précises de la réforme seront annoncées début 2019 et la loi définitivement adoptée au cours du premier semestre de cette même année. Des incertitudes demeurent sur l’échéancier de la mise en œuvre concrète de la loi. À l’origine, les premières mesures devaient entrer en vigueur dès le 1er janvier 2020 mais d’autres dates circulent comme le 1er janvier 2022, voire 2025. De la même manière l’objectif de convergence définitive des régimes après ces premières mesures était envisagé avec un délai de 5 années de transition. Il est aujourd’hui plutôt question de 10 années, voire 17 années soit le temps nécessaire estimé par la Cour des Comptes pour le seul alignement des fonctionnaires sur le régime des salariés du privé. Si ces durées peuvent paraître longues, il faut se souvenir que la réforme Balladur de 1993 a mis 15 années pour aboutir au calcul sur les 25 meilleures années de la période de référence des salariés du privé initialement fixée à 10 années. L’indexation sur les prix des salaires portés au compte pour les salariés du privé prévue par la même loi Balladur ne sera effective sur une carrière complète qu’en… 2033. De la même manière, l’unification des régimes Agirc-Arrco effective ce 1er janvier 2019 est le fruit d’un long travail de convergence et d’harmonisations initié au début des années 1990. Bref, de fortes incertitudes demeurent sur le calendrier définitif. Il ne sera fixé qu’en dernier ressort par le Président de la République qui devra tenir compte des contraintes et risques sociaux et techniques de tels bouleversements.

Un état des lieux connu

Le haut-commissariat s’appuie sur les divers travaux disponibles sur la situation de nos régimes de retraites. De fait, les rapports, les études et projections financières du Conseil d’Orientation des Retraites, les constats annuels du Comité de suivi des retraites instaurés par la loi de 2014, les statistiques élaborées par la Dares ou les différents régimes de retraite constituent une base documentaire quasi exhaustive sur l’état des lieux et les perspectives financières.

Les éléments démographiques - espérance de vie, taux de mortalité, de natalité et évolution de la pyramide des âges - sont connus grâce aux travaux de l’Insee et de l’Ined. Ils demeurent peu fluctuants et notre pays bénéficie sur ces aspects d’une situation plutôt enviable si on la compare à nos proches voisins (Allemagne, Italie, Espagne).

Des incertitudes demeurent cependant. La première porte sur le solde migratoire soumis aux aléas des politiques menées et dont un excédent constitue toujours, à terme, une bonne nouvelle pour les comptes sociaux. La seconde, essentielle, porte sur les évolutions de la masse salariale (dont la tendance suit généralement le taux de croissance du PIB) et son corollaire qui est le taux de chômage.

Ces divers éléments constituent les critères fondamentaux qui, à législation et règlementation constantes, permettent d’évaluer les besoins de financements à diverses échéances. Ainsi, sur la base des hypothèses retenues sur ces différents aspects, le besoin de financement représenterait à l’horizon 2022 l’équivalent de 0,20 point de PIB. La situation se dégraderait légèrement ensuite mais dans une proportion qui ne représenterait en 2030 que moins d’un point de PIB (entre 0,3 et 0,7). Les projections plus lointaines, qui ne sont pas des prévisions, offrent des fourchettes plus larges dans une fourchette de +1 point à -1,1 en 2050.

On le voit, si les régimes de retraite demeurent dans une situation fragile, les effets des diverses réformes précédentes, indépendamment des appréciations qu’on peut porter sur celles-ci, se font sentir et font apparaître une situation plutôt équilibrée et loin d’être dramatique. En toute logique, la réforme annoncée par le Président Macron n’a pas de motif à générer de nouvelles économies substantielles.

Information et concertations

Ces éléments factuels, dans le climat actuel de défiance et avec le passif psychologique laissé par la plupart des réformes précédentes, ne sont pas suffisants à rassurer ni les citoyens, ni les organisations syndicales qui les représentent. Aussi, le haut-commissaire s’est vu confier une mission visant à informer la population et associer les différents acteurs à l’élaboration de la future loi.
Au-delà des outils classiques que représentent les sites internet, les enquêtes en ligne et les conférences et rencontres citoyennes, M. Delevoye et son équipe ont engagé très tôt de nombreux contacts avec les acteurs de la retraite que sont les gestionnaires (présidents de caisse, administrateurs et directeurs généraux…) mais surtout, et tout naturellement, avec les organisations syndicales et professionnelles. Cette phase d’écoute et d’échanges s’est organisée autour des 6 blocs distincts sériant les principaux enjeux et problèmes soulevés par une réforme aussi ambitieuse :

  • Le système cible (« le cœur »),
  • Les droits non contributifs : périodes assimilées (chômage, maternité, maladie, invalidité, incapacité),
  • Les droits familiaux (majoration de durée d’assurance, majoration de pension, AVPF) et les droits conjugaux (réversion),
  • La gouvernance,
  • Le pilotage,
  • La transition.

Les positions des organisations syndicales et professionnelles étaient évidemment conformes aux stratégies traditionnelles de chacune d’elles. La CGT, FO, tout en reconnaissant la qualité et la sincérité des échanges, ont exprimé de fortes réserves sur l’opportunité d’une telle réforme et sur ses objectifs. Toutes deux refusent à priori un régime par points dont ils mettent en doute la capacité à garantir des mécanismes de solidarité. La CFE-CGC, la CFTC et l’Unsa ne s’opposent pas frontalement à l’hypothèse d’une réforme systémique tout en précisant qu’elles ne sont pas demanderesses et en soulevant de nombreux points d’attention sur les droits familiaux ou les régimes particuliers. La CFDT, seule à revendiquer depuis de nombreuses années une réforme globale des régimes, se dit attentive à l’amélioration des dispositifs de solidarité qu’elle souhaite mieux adaptés aux récentes évolutions professionnelles et sociétales en termes de parcours personnels. Ces organisations syndicales, à l’exception des deux premières citées, se retrouvent sur trois aspects essentiels :

  • Pouvoir juger sur pièces la nature de la réforme et particulièrement le maintien, voire l’amélioration des solidarités générationnelles et intergénérationnelles.
  • Situer la réforme sur un temps long permettant d’intégrer sans perte de droit les histoires sociales et professionnelles qui ont structuré les différents systèmes de retraite.
  • Maintenir un rôle opérationnel aux organisations professionnelles dans la future gouvernance du ou des régimes de retraite.

Les organisations patronales sont dans une attitude plutôt expectative. La CPME et l’U2P expriment des réserves sur un régime universel et le Medef, favorable à une unification des régimes, souhaite explicitement que cette réforme aboutisse surtout à un report de l’âge de la retraite.
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On le voit, la phase actuelle est plutôt aux expressions des positions de chaque organisation, à l’observation et à une certaine prudence de circonstance. Le Haut-Commissaire à l’écoute se garde de toute conclusion et annonce définitive. Le temps des arbitrages, des annonces et de la concertation active, des accords et désaccords, voire des confrontations, va succéder à cette première phase indispensable pour planter le décor, sonder et impliquer les futurs acteurs de cette réforme inédite de nos systèmes de retraite.
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Notes :

[1La seule réforme annoncée explicitement a été celle de 2013 dans les programmes du Parti Socialiste et de François Hollande.

[2Reprise de la page d’accueil internet du Haut Commissariat www.reforme-retraite.gouv.fr