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Urgence sanitaire : second train de mesures relatives au droit du travail

samedi 4 avril 2020

Conformément à la loi d’urgence sanitaire, le Gouvernement vient de prendre par Ordonnances un second train de mesures en matière de droit du travail.

La première Ordonnance concerne la « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ».

Rappelons qu’il s’agit du dispositif d’exonération de charges sociales et d’impôt sur le revenu qui faisait partie des mesures prises par le Gouvernement en réponse au mouvement des « gilets jaunes ».

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, cette prime peut être versée jusqu’au 31 août 2020 au lieu du 30 juin, et la part de cette prime qui bénéficie de cette double exonération est portée de 1 000 à 2 000 €. En outre, par dérogation à l’article L.3314-4 du code du travail, elle en bénéficie même si l’accord d’intéressement n’a été conclu qu’au cours du second semestre de l’année de leur prise d’effet. Ainsi, cette prime versée au titre de l’exercice 2019 bénéficie de la double exonération même si l’accord d’intéressement n’a été conclu qu’après le 30 juin 2019.

Les adaptations à l’urgence sanitaire des services de santé au travail font l’objet de la deuxième ordonnance.

On en retiendra d’abord que, par dérogation à l’article L.321-1 du code de la Sécurité Sociale qui réserve au seul médecin traitant la prescription et le renouvellement d’un arrêt de travail en cas de constatation de l’incapacité physique consécutive à une maladie ou à un accident, cette prérogative est étendue au médecin du travail dans la mesure où l’arrêt de travail est justifié par un constat ou une suspicion d’infection au covid-19. De même, le médecin du travail est habilité à procéder à des tests de dépistage du covid-19.

L’ordonnance autorise d’autre part le report des visites médicales qui devaient être effectuées à compter du 12 mars, excepté si le médecin du travail les estime indispensables compte tenu de l’état de santé du travailleur ou des caractéristiques de son poste de travail. Le report d’une visite ne fait pas obstacle, selon le cas, à l’embauche ou à la reprise du travail du salarié. S’agissant des travailleurs qui font l’objet d’un suivi adapté ou régulier ou d’un suivi individuel renforcé (art. L.4624-1, L.4624-2 et R.4624-23 C. Trav.), un décret en Conseil d’État déterminera prochainement les exceptions à cette mesure de report, ainsi que les conditions particulières de son application. Ce décret définira aussi les modalités d’organisation des visites reportées, étant entendu qu’elles ne pourront pas être reportées au-delà du 31 décembre 2020.

Peuvent aussi être reportées ou aménagées les autres interventions des médecins du travail en milieu de travail lorsqu’elles ne sont pas en rapport avec l’épidémie du covid-19, excepté si le médecin du travail estime que l’urgence ou la gravité des risques pour la santé des travailleurs justifie une intervention sans délai.

Toutes ces mesures sont applicables jusqu’à une date qui sera fixée par décret sans pouvoir être postérieure au 31 août 2020.

Notons enfin que, égarée dans cette Ordonnance sur les services de santé au travail, une disposition relative à l’activité partielle doit retenir l’attention. La suspension des délais d’acceptation implicite, résultant de l’article 7 de l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, ne s’applique pas aux demandes préalables d’autorisation d’activité partielle.

Le délai d’acceptation implicite d’une demande d’activité partielle reste donc fixé à quinze jours à compter de la réception de la demande et l’urgence sanitaire ne suspend pas ce délai.

Une troisième Ordonnance énonce plusieurs mesures relatives à la formation professionnelle.

Elle reporte, en premier lieu, au 1er janvier 2022 l’échéance du délai imparti aux organismes de formation professionnelle pour obtenir la certification qualité et celui d’enregistrement au répertoire national tenu par France Compétences (art. L.6113-6 C. Trav.) des certifications et habilitations correspondant à des compétences professionnelles complémentaires aux certifications professionnelles. En second lieu, la réalisation par l’employeur des entretiens d’état des lieux du parcours professionnel, auquel chaque salarié a droit tous les six ans, est reportée jusqu’au 31 décembre 2020.

Jusqu’à une date qui sera fixée par décret sans pouvoir être postérieure au 31 décembre 2020, les « opérateurs de compétence » (art. L.6332-1 C. Trav.) et les commissions paritaires interprofessionnelles régionales - ou associations « Transition Pro » - (art. L.63123-17-6 C. Trav.) sont autorisées à financer de manière forfaitaire les parcours de validation de l’expérience jusqu’à 3 000 € par dossier, et à mobiliser à cette fin les contributions supplémentaires décidées par les branches et les fonds dédiés aux actions de financement de l’alternance.

Enfin, d’une part, les contrats d’apprentissage et les contrats de professionnalisation dont le terme devait échoir entre le 12 mars et le 31 juillet 2020, sans que l’apprenti ait achevé son cycle de formation en raison de reports ou d’annulation de sessions de formation ou d’examens, peuvent être prolongés jusqu’à la fin du cycle de formation poursuivi initialement. D’autre part, est prolongé de trois mois supplémentaires le délai, normalement fixé à trois mois, pendant lequel les personnes dont le cycle de formation est en cours à la date du 12 mars 2020 peuvent rester en formation dans un C.F.A. sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle dans l’attente de la conclusion d’un contrat d’apprentissage.

La quatrième Ordonnance aménage le calendrier de la mesure de l’audience des organisations syndicales dans les T.P.E. et du renouvellement des mandats des Conseillers Prud’hommes.

Sur le premier point, il est décidé d’organiser le scrutin au cours du premier semestre 2021. Seront concernés les salariés des entreprises employant moins de onze salariés au 31 décembre 2019 (au lieu du 31 décembre de l’année précédant le scrutin). La période précise sera fixée par arrêté du Ministre du Travail.

Sur le second point, la date du prochain renouvellement des Conseillers Prud’hommes aura lieu au plus tard le 31 décembre 2022, à une date qui sera fixée par arrêté ministériel. Les mandats des Conseillers Prud’hommes en cours à la date de l’entrée en vigueur de l’Ordonnance sont prorogés jusqu’à la date de ce scrutin et, pour les besoins de leur formation continue, les Conseillers ont droit, sur leur demande, à des autorisations d’absence jusqu’à six jours par an au titre de cette prolongation.

Les adaptations des processus électoraux en matière d’instances représentatives du personnel et du fonctionnement de celles-ci sont l’objet de la cinquième Ordonnance.

En matière électorale, il est procédé à une suspension générale des processus à compter du 12 mars 2020 jusqu’à la fin du troisième mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Cette mesure concerne :

 les délais impartis à l’employeur, relatifs à l’information sur l’organisation des élections (art. L.2314-4 C. Trav.), à l’invitation des organisations syndicales à négocier le protocole préélectoral (art. L.2314-5), à l’organisation d’élections à la demande d’un salarié ou d’une organisation syndicale (art. L.2314-8) et à l’organisation éventuelle d’un second tour (art. L.2314-29) ;

 les délais de saisine, selon le cas, de l’autorité administrative ou du juge judiciaire, relatifs à la détermination éventuelle d’établissements distincts (art. R.2313-1, R.2313-2, R.2313-4, R.2313-5 C. Trav.), à la répartition du personnel entre les collèges et des sièges entre les catégories (art. R. 2314-3) et les délais de réponse de l’autorité administrative.

Lorsque l’une des formalités du processus électoral a été accomplie entre le 12 mars et l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, la suspension du processus prend effet à compter de la dernière formalité accomplie. Lorsque l’autorité administrative a été saisie après le 12 mars, le délai dont elle dispose pour se prononcer commencera à courir à la date où la suspension du processus aura pris fin (fin de l’état d’urgence + 3 mois). Il en sera de même du délai de recours contre une décision administrative relative au processus électoral prise après le 12 mars.

La suspension du processus électoral n’a pas d’incidence sur la régularité des scrutins réalisés. Il en est ainsi d’un premier tour qui devait être suivi d’un second tour lorsque le processus a été suspendu, ou d’un scrutin achevé – premier ou second tour – entre le 12 mars et l’entrée en vigueur de l’Ordonnance.

L’appréciation des conditions d’électorat et d’éligibilité est fixée « à la date d’organisation de chacun des tours du scrutin ». Cette disposition remet en cause la jurisprudence qui fixait cette appréciation à la date du premier tour de scrutin (Cass. Soc. 30 octobre 2001, pourvoi n°00-60.341). D’évidence, cette mesure tient compte de la longueur du délai susceptible de s’écouler jusqu’au second tour de scrutin lorsque la suspension du processus intervient entre les deux tours. Cependant, la date « d’organisation » est une notion plus précise que celle du scrutin. Si l’objectif consistait à faire en sorte que les droits de vote et d’éligibilité soient appréciées au plus près de la date de l’élection effective, il faudra interpréter la date « d’organisation » comme la date même de chaque scrutin.

Que l’obligation d’engager le processus électoral soit née depuis l’entrée en vigueur de l’Ordonnance par suite de l’atteinte du seuil d’effectif (art. L.2311-2 C. Trav.) ou d’une demande émanant d’un salarié ou d’une organisation syndicale (art. L.2314-8) ou dans un cas où une élection partielle doit être organisée (art. L.2314-10), ou que l’employeur ait omis d’engager le processus bien qu’il y ait déjà été tenu avant cette date, l’employeur doit engager le processus électoral dans les trois mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Lorsque, en raison de la suspension du processus électoral ou du report des échéances, les mandats représentatifs en cours à la date du 12 mars 2020 n’ont pas été renouvelés, ils sont prorogés jusqu’à la proclamation des résultats de la future élection, et les salariés mandatés conservent leur protection pendant toute la durée de cette prorogation. Quant aux candidats à une élection, qui bénéficient de la protection contre les licenciements pendant six mois à compter de leur candidature (art. L.2411-7 C. trav.), leur protection est prorogée jusqu’à la proclamation du résultat des élections lorsque ce délai de six mois expire avant la date du premier tour.

On sait que des élections partielles ne doivent être organisées que lorsque, en cours de mandat, un collège n’est plus représenté ou que l’effectif de la délégation du personnel est réduit de moitié, à condition que cette situation se produise plus de six mois avant la fin du mandat (art. L.2314-10). Prenant en compte, à la fois, l’hypothèse de survenance d’une telle situation probablement avant ou pendant la suspension des processus électoraux, et la durée de celle-ci, l’Ordonnance décide que la condition d’un délai supérieur à six mois avant le terme des mandats s’appréciera, non à la date où survient l’une des situations justifiant l’organisation d’élections partielles, mais à celle de la fin de la suspension du processus électoral, que celui-ci ait été déjà engagé ou non avant cette suspension.

En ce qui concerne le fonctionnement des C.S.E., pendant la période d’état d’urgence sanitaire et sans limitation quant au nombre de réunions concernées, l’Ordonnance autorise la tenue de toutes les réunions en visioconférence ou par conférence téléphonique à charge seulement pour l’employeur d’en avoir préalablement informé les membres de l’instance. Cette autorisation s’étend à la messagerie simultanée à condition qu’un accord d’entreprise le prévoie. Qu’il s’agisse de la conférence téléphonique ou de la messagerie simultanée, un décret doit en fixer les conditions.

Enfin, cette ordonnance réserve une surprise que l’on découvre à son 7ème et dernier article. On se souvient de l’émotion suscitée par la faculté accordée à toutes les entreprises d’imposer aux salariés, unilatéralement et sans consultation ni information du C.S.E., la prise de jours de repos (de R.T.T. ou dans le cadre de conventions de forfait en jours) ou la modification de leurs dates ou encore l’utilisation immédiate en jours de repos des droits inscrits dans un C.E.T (Ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020).

Qu’on se rassure, toujours attentif aux avis des « partenaires sociaux » et soucieux de sauvegarder le dialogue social, le Gouvernement impose à l’employeur qui prend l’une de ces mesures d’en informer le C.S.E. « sans délai et par tout moyen », mais pas de l’informer avant d’appliquer la mesure. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une consultation, si le C.S.E entend formuler un avis, il doit le faire dans le délai d’un mois à compter de cette information, même si la mesure est déjà appliquée. On appréciera la conception du dialogue social que dénote cette disposition, surtout à propos de décisions (fixation de jours de repos) dont on voit mal qu’elles puissent revêtir un caractère d’urgence tel qu’il soit incompatible avec une consultation préalable du C.S.E.