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Pour un renouvellement du dialogue social

mercredi 29 janvier 2020

Dialogue social ! Le terme peut paraître assez provoquant au regard des tensions sociales que vit notre pays depuis novembre 2018. La France, à l’instar d’autres pays européens, peut-elle développer une approche apaisée des relations sociales ou est-elle condamnée à vivre des épisodes violents comme le fut celui des gilets jaunes ou plus traditionnellement des conflits sociaux comme celui que nous vivons depuis le 5 décembre 2019 ?

Retour sur dix ans de progression du dialogue social…

Pourtant, de 2007 à 2016, malgré déjà un épisode des retraites en 2010 où l’opposition de l’ensemble des syndicats n’avait pas réussi à infléchir le projet gouvernemental (passage de l’âge légal à 62 ans), la période a été au développement du dialogue social. Différents textes et rapports ont largement influencé les pratiques sociales et les relations entre décideurs politiques et partenaires sociaux. Citons la loi Larcher de janvier 2007, les lois sur la représentativité syndicale dans le privé d’abord, dans la fonction publique ensuite et au niveau patronal, ou encore les rapports Combrexelle et du CESE. Le tout a débouché sur d‘importants accords interprofessionnels nationaux et à leur suite de textes législatifs.

Toutes ces évolutions, auxquelles on peut rajouter le regroupement des branches, avaient pour logique le renforcement du dialogue social. Basé sur une légitimité réelle des acteurs, Il s’agissait de le rendre plus légitime, plus efficace, plus proche des réalités vécues par les salariés et plus équilibré notamment par l’instauration progressive de l’accord majoritaire au niveau de l’entreprise. Les niveaux élevés de signatures des accords d’entreprises et la baisse continue de la conflictualité témoignent d’un dialogue social apaisé au moins à ce niveau.

Mais, parallèlement, dans la société, on enregistrait déjà des résistances fortes : la persistance d’un syndicalisme de contestation qui, certes perdait du terrain, mais gardait une réelle capacité d’action dans certains secteurs ; l’effacement du patronat sur des postures idéologiques et de lobbying ; des pans entiers de la société (TPE, territoires en déshérence, etc.) se sentant ignorés et même abandonnés de l’ensemble des acteurs et plus particulièrement de l’État et n’attendant rien des partenaires sociaux .

…interrompue depuis deux ans !

L’élection d’un Président jeune et issu de la technocratie d’État a stoppé l’évolution vers l’approfondissement du dialogue social au niveau national. Pour lui, l’État devait reprendre une place centrale face à des « corps intermédiaires » jugés inefficaces voire considérés comme des freins à toute évolution de la société française. Un nouveau monde était arrivé !

Résultat : absence d’écoute des responsables syndicaux nationaux comme Laurent berger qui avait alerté dès juin 2017 sur le caractère injuste de certaines décisions ; une volonté de dialogue direct entre un Président omniprésent et les citoyens ; une volonté manifeste d’affaiblir les syndicats en diminuant leurs moyens au niveau de l’entreprise avec les ordonnances de septembre 2017.

Le refus d’organiser une conférence sociale au début de la crise des gilets jaunes démontrait l’incapacité du gouvernement à tenir compte de la voix des syndicats pour tenter de résoudre les problèmes sociaux. Alors qu’il était encore temps de calmer le jeu, le gouvernement a choisi la confrontation au risque de « lâcher » des mesures dites sociales en urgence et sous la contrainte quelques semaines plus tard et des dizaines de samedis ponctués d’évènements parfois dramatiques.

Alors même qu’il déclarait avoir compris le message et annonçait « l’acte II » du quinquennat plus respectueux des acteurs sociaux débutait l’épisode des retraites.

Là encore, ignorant les appels des organisations réformistes à ne pas mêler une réforme paramétrique à la réforme systémique, le gouvernement passe outre et impose dans le rapport Delevoye d’abord et ensuite dans son projet l’instauration de l’âge pivot. Ignorant la très forte mobilisation des agents de la RATP du 13 septembre et l’appel des syndicats de cette entreprise à la grève générale le 5 décembre, le gouvernement ne cherche pas le dialogue. Il attise même le feu en relevant le défi lancé d’entamer une grève reconductible dans les transports par les syndicats opposés au principe même de la réforme et en repoussant les annonces de ses décisions quelques jours après cette date clé. Résultat : une mobilisation exceptionnelle des agents de conduite à la RATP et à la SNCF débouchant sur une grève illimitée qui paralyse pendant des semaines la région parisienne. Cette stratégie de refus du dialogue avant le 5 décembre avec les organisations qui, à la SNCF et la RATP, y étaient prêtes, a rangé celles-ci dans le camp des contestataires et rendu difficile ensuite la reprise de dialogue.

Il a fallu attendre encore presqu’un mois et des contrepropositions de la CFDT (la conférence de financement) pour qu’Edouard Philippe se décide enfin à retirer l’âge pivot du texte de loi alors même que la CFDT, l’UNSA et la CFTC en faisaient une ligne rouge depuis la sortie du rapport Delevoye en juillet. Que de temps perdu qui aurait pu être mis à profit pour discuter des problèmes de fond du nouveau système ! Une victoire incontestablement pour la CFDT et ses alliés du camp réformiste qui ont démontré leur opiniâtreté mais aussi leur sens de l’ouverture et du compromis. Une fois la porte ouverte, il serait périlleux de la refermer en avril en revenant à la case départ sur l’âge pivot. Il en va essentiellement de la responsabilité gouvernementale mais aussi du patronat discret dans la période mais non moins influent.

Cette conduite du conflit montre, de toute évidence, la difficulté qu’ont les responsables politiques issus, pour la plupart, et peut-être plus que jamais, de la haute fonction publique, à respecter les logiques syndicales et comprendre le fonctionnement du dialogue social, certes davantage inspiré par le secteur privé que par la fonction publique.

S’agit-il d’un problème culturel d’une certaine élite incapable de se remettre en cause ? D’une méconnaissance des acteurs sociaux et de l’histoire sociale de notre pays ? D’une vision dépassée des rapports de force s’appuyant sur la confrontation plutôt que l’échange et le dialogue ?

Cette culture de la confrontation se retrouve bien évidemment chez certains acteurs sociaux et notamment dans les organisations syndicales dites « contestataires ». Celles-ci ont cru relever le défi en entraînant les salariés des transports dans un mouvement de grève illimité. Ceux-ci, après pour certains 50 jours de grève, sortiront frustrés de cette période de ne pas avoir été entendus mais aussi de ne pas avoir été rejoints par les autres salariés. Encore une fois la logique du « on ne lâche rien » a prévalu et laissera des traces profondes dans la société. La CGT et les autres organisations contestataires portent une lourde responsabilité en menant cette stratégie du tout ou rien. Au-delà des questions qui ne manqueront pas de se poser en interne, il n’est jamais bon pour des acteurs sociaux qui représentent une frange importante des salariés de vivre un tel échec sans autre perspective que de continuer une lutte sans fin qui, devenant minoritaire, alimente la violence, les actions incontrôlées et la désespérance. On sait où cela peut nous mener.

Le risque est grand qu’en fin de compte, ils ne soient tous perdants vis-à-vis de la majorité de l’opinion renforçant encore un peu plus la défiance des Français vis-à-vis des corps constitués (politiques, syndicats quel que soit leur camp, patrons, médias…) déjà largement déconsidérés.

Comment en sortir par le haut ?

Dans ce contexte où la confrontation semble avoir pris le pas sur la réflexion, l’analyse et le dialogue, des voix s’élèvent pour redonner sa place à la négociation collective et au dialogue social. Ainsi, dans un ouvrage récent « l’Âge de la négociation collective » (PUF), Christian Thuderoz, tout en mettant l’accent sur la négociation d’entreprise, propose quelques pistes pour sortir de cette logique de confrontation :

« Que manque-t-il pour que la France finisse sa mue et que ses forces vives apprennent à se confronter sans s’affronter ? L’essentiel : repenser l’idée même de négociation collective et refonder notre système de relations sociales sur d’autres principes : ne plus légiférer mais inciter ; ne plus obliger, mais inviter ; ne plus contrôler, mais conseiller et laisser expérimenter ».

D’autres auteurs, journalistes, sociologues chercheurs appellent dans le même sens à retrouver les chemins du dialogue.

Quelles pourraient en être les conditions ?

 1/ Redonner au dialogue social interprofessionnel ses lettres de noblesse

Le dossier des retraites met en lumière la question de la qualité de vie au travail. Au moment où plus que dans d’autres pays la retraite est vécue comme une libération par rapport au travail, objet de frustration faute d’autonomie ou de reconnaissance, il y a là un sujet de réflexion entre partenaires sociaux et de négociation que le patronat aurait tort de négliger comme il l’a fait jusqu’ici.

Face à un État qui a repris une place trop importante dans le dispositif social, les partenaires sociaux et plus particulièrement le patronat doivent imaginer ensemble les moyens de redéfinir leur espace au service des entreprises et des salariés. Pourquoi pas une nouvelle refondation sociale comme cela avait été le cas au début des années 2000 ?

 2/ Renforcer le dialogue de branche mais aussi le dialogue social territorial

Les partenaires sociaux ont su sauver la place de la branche en matière de négociation collective lors du débat sur les ordonnances durant l’été 2017, reste aujourd’hui à lui donner du grain à moudre en matière de négociation. Les regroupements de branches, la déclinaison des négociations interprofessionnelles sur la qualité de vie au travail et l’encadrement des négociations d’entreprises, devraient donner toute sa place à un dialogue social constructif à ce niveau.

Mais la question des mobilités, la découverte d’espaces de relégation territoriale, devraient susciter un besoin de négocier des solutions concrètes locales pour répondre aux besoins de la population. Pourquoi ne pas finaliser des accords collectifs locaux comme celui des Groupement d’employeurs en Nouvelle Aquitaine ou développer des coopérations locales entre partenaires sociaux à l’instar de ce qui se fait par exemple dans certaines CPRIA ?

 3/ Redonner plus de légitimité et de contenu au dialogue social d’entreprise et redonner plus de moyens et d’espace aux organisations syndicales
La loi donne une place très importante au dialogue social à ce niveau, encore faut-il que les acteurs concernés se saisissent de ces nouvelles opportunités pour répondre concrètement aux attentes des salariés en matière sociale. La question de la qualité de vie au travail et de la qualité du travail est devenue centrale et probablement un sujet d’innovation sociale positive pour les salariés pour qu’ils se sentent mieux au travail et donc pour les entreprises.

Ce ne sont évidemment que des pistes de réflexion. L’important est de renouer les fils du dialogue entre des acteurs sociaux divisés entre eux et un État dont la légitimité de ses représentants est remise en cause parfois avec violence. Cela passe à coup sûr par plus d’écoute et de respect réciproque et une puissance publique plus facilitatrice qu’interventionniste. Mais c’est aussi aux partenaires sociaux, patronat en tête, de sortir des postures pour rechercher les voies et les moyens de reprise du chemin interrompu et qui, comme le propose Christian Thuderoz, apprennent à se confronter sans s’affronter. On ne peut se résoudre à supporter davantage le climat de défiance et de violence actuel. L’heure est au renouveau du dialogue social, et aux différents acteurs organisés de la société de se montrer à la hauteur des enjeux.