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Les allègements de cotisations sociales, trappes à bas salaires ?

samedi 13 avril 2024

Les trappes à bas salaires définissent la situation dans laquelle un employeur, pour continuer à bénéficier d’avantages particuliers (réductions de cotisations sociales, fiscalité réduite, etc…), maintient le salaire des ses employés à bas niveau.

Les positions des syndicats de salariés et des organisations d’employeurs lors de la conférence sociale du d’octobre 2023 divergent : le patronat s’oppose aux contraintes éventuelles sur le droit aux allègements qui seraient concentrés sur des salaires autour du Smic, allègements qui sont pour eux créateurs d’emploi. Les syndicats de salariés souhaitent conditionner les allègements de cotisations sociales aux comportements de l’entreprise. Pour ces derniers, ces exonérations bloquent les progressions de carrière et empêchent la hausse des salaires. En France, le Smic, salaire minimum, est indexé sur l’inflation. En 2022, l’inflation a atteint plus de 5 % faisant grimper le Smic et renforçant les mécanismes de trappe à bas salaires.

  • Conséquence, beaucoup de salaires minimums de branches sont encore inférieurs au minimum obligatoire, entraînant une smicardisation des salariés.
  • L’allègement des cotisations est aussi critiqué pour son coût sur les finances publiques (près de 90 milliards en 2023), ce qui a pour conséquence une augmentation du déficit et de la dette publique. Un débat très actuel !

Une étude de l’Ires (institut de recherches économiques), association au service des organisations syndicales représentatives, répond à une demande d’étude de la CFDT : « Quelles sont les incidences sur la structure de l’appareil productif et les qualifications des politiques d’exonération sur les bas salaires ? ».

Mis en place en 1993, le dispositif d’allégements de cotisations sociales sur les bas salaires a subi de nombreuses réformes (dispositif unifié, Cice, pacte de responsabilité…). Depuis octobre 2019, les allègements généraux sont constitués par 3 dispositifs juridiquement distincts :

  • La réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs ciblés sur les bas salaires s’applique aux rémunérations annuelles inférieures à 1,6 Smic. La réduction est dégressive en fonction du niveau de salaire (pour s’annuler au seuil de 1,6 Smic).
  • La réduction uniforme de 6 points, pour les mêmes employeurs, du taux de la cotisation d’assurance maladie pour les salariés dont la rémunération annuelle n’excède pas 2,5 Smic, introduite en 2019 en contrepartie de la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice).
  • La réduction uniforme de 1,8 point du taux de la cotisation d’allocations familiales sur les rémunérations s’élevant jusqu’à 3,5 Smic, applicable dans sa forme actuelle depuis 2016 (pacte de Responsabilité et Solidarité).

La réduction du coût du travail s’élève ainsi à 40,34 % du salaire brut pour les entreprises de 20 salariés et plus, elle est de 39,94 % pour les entreprises de moins de 20 salariés. Les autres exonérations en dehors du champ de la protection sociale (effort de construction, 1 % logement, transport, formation professionnelle, apprentissage…) restent valables.

Le taux d’exonération apparent (soit le montant total d’exonération rapporté à la masse salariale soumise à cotisation) atteint ou dépasse 7,5 % dans quatre secteurs : l’hôtellerie, la restauration, les « activités de services administratifs et de soutien » (entreprises d’intérim), et les autres activités de service :

  • En parallèle du régime général de réductions des cotisations sociales patronales sur les bas salaires, le secteur agricole possède un dispositif spécial d’exonération pour les contrats saisonniers du secteur.
  • Ce contrat agricole appelé TO/DE, s’applique pour les 119 premiers jours de travail effectifs du contrat de travail par salarié et par employeur. Ce contrat concerne 2 seuils : un premier en dessous duquel les cotisations concernées sont totalement exonérées (rémunération mensuelle inférieure à 1,2 Smic) et un second en dessous duquel les cotisations sont réduites (de 1,2 à 1,6 Smic).
  • Le gouvernement vient de prolonger ce dispositif jusqu’au 31 décembre 2025.

La politique d’exonération, associé au maintien d’un niveau élevé du salaire minimum (brut) et du développement des prestations sociales au sens large (incluant la prime d’activité), ciblée sur les travailleurs à bas salaires, a permis un découplage entre le coût du travail au niveau du salaire minimum et le revenu net des salariés au salaire minimum (ex : l’employeur doit payer jusqu’à 450 euros de plus pour augmenter un salarié au Smic de 100 euros).

Les travailleurs à bas salaires : les femmes et les jeunes de moins de 26 ans sont largement représentés, avec souvent des emplois en CDD et à temps partiel. Les emplois principaux sont : les emplois de nettoyeurs, les aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales, les ouvriers peu qualifiés divers de type industriel.

  • La France est parmi les pays de l’Ocde celui où le rapport entre le salaire médian et le premier décile (soit 10 % des salariés qui gagnent moins alors que 90 % des salariés gagnant plus) est le plus bas. »
  • Le tassement de la hiérarchie et la limitation potentielle des carrières salariales apparaît plus nettement si on regarde les salaires de base, et notamment les minima conventionnels des différentes branches.
  • Depuis les 35 heures, les primes d’ancienneté ont eu tendance à disparaître ainsi que le développement de l’externalisation des emplois les moins qualifiés (filialisation, sous-traitance, délocalisation), ils ont marqué le démantèlement des marchés internes reléguant de nombreux salariés peu qualifiés dans des entreprises avec peu de perspectives de carrières salariales.

Quels comportements des entreprises avec les trappes à bas salaires : la dégressivité des cotisations peut inciter les employeurs à maintenir les salaires le plus bas possible pour profiter au maximum d’abaissement de cotisations sociales :
  La progressivité des prélèvements sur les salaires inférieurs à 1,3 Smic mensuel, du fait du caractère dégressif des allègements, joue négativement sur la mobilité salariale des travailleurs à bas salaires (aussi bien en termes d’augmentation du salaire réel que de taux de sortie).
  Cela incite les entreprises à accentuer la dévalorisation des diplômes de Bac à Bac+2, en recrutant à des salaires inférieurs, des jeunes plus qualifiés que leurs aînés, suite au plafond de verre du montant de la fin des exonérations.
  Ce mécanisme entraîne aussi le développement des entreprises intensives en travail peu qualifié. Cela peut avoir des effets négatifs sur les entreprises en termes de formation, de déclassement à l’embauche, et de productivité, entraînant la France dans une trajectoire de faible compétitivité.

L’utilisation de la manne financière que représentent les exonérations de cotisations peut fortement varier d’une entreprise à une autre, en fonction de leur situation financière (la contrainte de liquidité en termes d’endettement et/ou d’accès au crédit semble jouer un rôle important), mais aussi de leur environnement concurrentiel, sur le marché des biens comme sur celui du travail, de leur position dans la chaîne de valeur, ou encore de leurs options stratégiques (en termes de choix de technologie).



Malgré le coût important pour les dépenses publiques, si l’allègement des charges sociales peut avoir des effets positifs sur l’emploi limité aux salaires inférieurs à 1,6 Smic, cela induit un tassement des rémunérations vers le bas de l’échelle des salaires, un blocage tout au long de la vie de beaucoup de salariés autour du Smic, et a pour conséquence une baisse de la compétitivité en France.


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