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Les clés du social : Les questions ethnoraciales, oubliées du dialogue social

Les questions ethnoraciales, oubliées du dialogue social

Publié le 20 septembre 2025 / Temps de lecture estimé : 3 mn

Près de 20 ans après la signature de l’accord national interprofessionnel sur la diversité du 12 octobre 2006, une étude réalisée par une doctorante Manon Torres et publiée par la DARES (service études et statistiques du ministère du Travail) montre que les inégalités ethnoraciales et la lutte contre le racisme dont c’était l’objectif ne font peu l’objet de négociation collective.

Pourtant selon l’INED et l’Insee, 20 % des descendants d’immigrés et 22 % des immigrés estiment « avoir fait l’objet de discriminations liées à l’origine » dans la sphère professionnelle. Un travail de recherche sur les inégalités de rémunération entre « blancs » et personnes « racisées » montrait par exemple qu’un homme d’origine subsaharienne recevait 407 euros de moins qu’un homme « blanc » en 2023.

La doctorante a fondé sa réflexion à partir de deux approches, l’étude d’accords d’entreprises et l’interview d’acteurs de terrain (DRH et délégués syndicaux).

Peu d’accords sur les discriminations

Sur 90 406 accords d’entreprise répertoriés de 2014 à 2021 par le ministère du Travail qui traitent de l’égalité, seulement 227 concernent la non-discrimination ou la diversité liée à l’origine ou le racisme. Les termes « racisme » et « racial » ne sont d’ailleurs réellement présents que dans 87 textes.

Globalement, les accords « diversité » utilisent des mesures qui concernent tous les types de diversité (genre, âge, origine, handicap) et listent les actions prohibées. Les mesures sont souvent d’ordre généraliste et concernent pour la plupart le recrutement en direction de certains publics : des jeunes issus de la diversité socialement défavorisés ou venant des quartiers de la politique de la ville. Les jeunes diplômés issus de la diversité semblent oubliés ainsi que toutes les discriminations postérieures au recrutement.

Des acteurs en difficulté pour aborder le sujet

Au-delà de l’étude des accords d’entreprise, la rédactrice de la thèse a rencontré 22 syndicalistes et 12 cadres RH concernant 11 entreprises de secteurs différents.

Des acteurs manifestement en difficulté pour aborder un sujet sensible. Il a fallu utiliser une entrée globale sur le dialogue social pour progressivement aborder les questions de diversité. Le profil des syndicalistes interrogés était composé essentiellement « d’hommes blancs ». Seuls deux syndicalistes étaient « racisés ». Ceux-ci sont les seuls à constater que le racisme faisait partie de leur quotidien.

Pour la plupart des acteurs y compris les syndicalistes, cette question d’après l’auteur « relève de la dénégation, voire du déni ». La diversité ethnoraciale des entreprises auxquelles ils appartiennent serait, pour eux, comme une preuve de non-discrimination.

Très rapidement se pose la question des statistiques ethniques et la difficulté pour les mettre en œuvre

Du côté des syndicalistes interrogés, on se retranche sur une approche supposée stricte de la législation dans ce domaine interdisant les questions sur la race ou encore la religion. Ces délégués syndicaux semblent avoir une mauvaise connaissance du droit sur les discriminations ethnoraciales. Du côté des RH on reconnait qu’il est possible de réaliser des statistiques. Par exemple on peut interroger les salariés sur leur origine et celle de leurs parents sous couvert d’anonymat, méthode admise dans l’accord diversité de 2006. Toutefois, sentiment partagé par tous les acteurs, on considère que c’est difficile à faire par crainte de fichage raciste, par la difficulté de reconnaître des groupes minoritaires ou encore par le refus des politiques de discrimination positive. C’est un terrain hautement sensible politiquement contrairement aux discriminations sur le genre, l’âge et le handicap, plus consensuels.

En conclusion, presque 20 ans après l’accord diversité, le racisme reste un problème difficile à aborder pour les acteurs de l’entreprise qui fait l’objet d’une forme d’impensé. Soit les acteurs se réfugient derrière une sorte de déni, soit ils semblent impuissants pour aborder le sujet. Cela expliquerait sa place marginale dans la négociation collective.

Un sujet sensible donc mais qui mériterait pourtant la mobilisation des acteurs de l’entreprise. La thèse présentée par Manon Torres et publiée par la DARES pourrait peut-être inciter les partenaires sociaux nationaux à se ressaisir du sujet.


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