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Après son congrès, FO revient-elle au syndicalisme de contestation ?

samedi 12 mai 2018

Jean-Claude Mailly, secrétaire général sortant, avait prédit un congrès « rock’n’roll », ce fut le cas. Et pas seulement parce que Patrick Pavageau, son successeur, est un fan de Hard Rock. En jeu, ni plus ni moins, le positionnement futur de Force Ouvrière, partagée entre le réformisme militant défendu par le sortant et un syndicalisme plus contestataire porté par le nouveau secrétaire général et dont la traduction immédiate est d’appeler à une mobilisation interprofessionnelle allant jusqu’à la grève « compte tenu de l’extrême gravité de la situation et des risques qui se profilent pour les travailleurs, les droits sociaux, notre modèle social et les valeurs républicaines ».

Illustration de ce clivage, l’attitude de la direction de FO et notamment de Jean-Claude Mailly sur les ordonnances a fait l’objet de débats houleux entre les « réformistes » notamment de la fédération de la métallurgie et les contestataires souvent issus de rangs anarchistes ou trotskistes très présents dans FO.

« Vous avez le salut fraternel des adhérents de la structure que je représente ! »

C’est toujours par cette phrase qu’ont débuté les interventions à la tribune des représentants des syndicats. Pour le reste, peu de fraternité dans ces mêmes interventions. Si la plupart sont restées dans les limites de la correction même si elles étaient de part et d’autre sans concessions, certaines ont viré à l’attaque personnelle voire aux accusations de trahison de la classe ouvrière à l’encontre de Jean-Claude Mailly, ce qui lui a fait dire dans sa réponse « certains ont mordu le trait de la fraternité ! ».

Si tous prétendent défendre le syndicalisme de Force ouvrière, derrière les mots libre et indépendant, ils ne mettent pas la même chose. Les plus révolutionnaires appellent à la lutte frontale avec le patronat et le gouvernement, refusant toute idée d’accord ou de « compromission », en appelant de leurs vœux la grève générale interprofessionnelle comme une sorte de totem à mettre en avant.

De l’autre, les réformistes, essentiellement les métallos soutenant Jean-Claude Mailly et ses 14 années de mandats et vantant l’efficacité de leur syndicalisme pragmatique. Leur porte-parole le plus convainquant a été Jean-François Knepper d’Airbus. Fort des 10 200 adhérents de son entreprise, il a simplement expliqué comment avait diminué la mobilisation de ses troupes au fur et mesure des journées d’action contre la loi Travail. Il a aussi expliqué que, comme la majorité des Français, les adhérents d’Airbus ne demandent pas la grève générale. Et d’ajouter « ils ressemblent à la plupart des Français qui ont élu Macron et placent la CFDT comme première organisation syndicale ».

Finalement, la grande majorité des intervenants ont tout de même déclaré soutenir le nouveau secrétaire général avec toutefois quelques bémols pour certains.

Entre le sortant et le nouveau secrétaire général, deux styles différents qui marquent deux conceptions du syndicalisme

Jean-Claude Mailly, un sortant amer

L’attitude de FO durant les ordonnances a donc été au centre des débats de ce congrès. Les deux secrétaires généraux ont clairement marqué leur différence même si, et Jean-Claude Mailly n’a pas manqué de le souligner, Pascal Pavageau, membre du Bureau confédéral (le gouvernement de FO) a toujours soutenu la ligne de FO.

Jean-Claude Mailly a, dans sa présentation du rapport d’activité, essayé de justifier le positionnement de FO en faisant une analyse de la situation politique au moment de ce débat : un Président nouvellement élu sur un programme bien défini. Qui aurait pu croire qu’il allait abandonner d’entrée ce pour quoi il avait été élu ? Soit nous rentrions dans une opposition frontale avec lui et dans ce cas nous n’aurions pas sauvé la négociation de branche ou encore ce qui est appliqué au moins de 20 salariés l’aurait été au moins de 150. Soit nous rentrions dans une logique de concertation, ce que nous avons fait, en obtenant, par exemple, la liberté de désigner un délégué syndical en dehors des élus.

Face aux multiples attaques dont il a fait l’objet, il a tenté, notamment dans sa réponse, de faire de la pédagogie sur ce que doit être FO, comme une sorte de message passé à la nouvelle équipe. Il a expliqué sa conception du réformisme militant (on négocie : quand on est d’accord on signe, quand on l’est pas on ne signe pas et on combat l’accord y compris par la grève !). Il a fait un distinguo subtil entre « intérêt général » et « intérêt collectif » et a précisé sa conception de la démocratie sociale qui ne peut, selon lui, être l’égale de la démocratie politique. Ainsi, il estime que les députés ont le droit de ne pas reprendre intégralement un accord entre les partenaires sociaux. L’exiger, selon lui, c’est « du corporatisme ! », sans vraiment expliquer pourquoi. Sur ces sujets, sans jamais la citer, Jean-Claude Mailly marque sa différence avec la CFDT.

Manifestement, dans les rangs des militants FO, l’attitude de la direction de FO n’a pas été comprise et le vote pour le moins étriqué du rapport d’activité (50,4 % des voix) en est l’illustration. Triste fin de mandat pour Jean-Claude Mailly qui, comme secrétaire général, loin de démériter, avait su jusqu’ici rassembler son organisation en trouvant une ligne médiane entre réformisme et contestation et représenter dignement Force Ouvrière en faisant oublier les outrances de son prédécesseur.

Pascal Pavageau : un nouveau SG offensif et se démarquant de son prédécesseur

Le contraste a été saisissant entre l’ancien et le nouveau dès l’intervention de clôture du congrès de Pascal Pavageau tout juste élu Secrétaire général, avec un discours émaillé de formules voulues percutantes. Sans remettre en cause les fondements du syndicalisme FO, il a d’entrée appelé à la mobilisation. Reprenant de façon assumée des passages du film « Le seigneur des anneaux » il s’est écrié, face au patronat et au gouvernement, « ils ne passeront pas ! ils ne passeront pas ! ».

Il fustige les ordonnances qualifiées de « loi Travail XXL » et spécialement la rupture conventionnelle collective, « un piège ! » selon lui. Il attaque frontalement la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » dont le titre est selon lui « une blague ». Tout y passe, le contrôle des chômeurs, l’impôt à la source, les retraites, le CPA. Pour lui, la politique de Macron, c’est « 10 % de premiers de cordée au détriment de 90 % de derniers de corvée ! ».

Comme pour se démarquer un peu plus de son prédécesseur, il déclare « les reculs ne se négocient pas, ils se combattent ! Pour lui le syndicalisme est mortel mais « nous préférons mourir debout que vivre à genoux ! ».

Autant dire qu’un tel discours a de quoi satisfaire tous les rangs contestataires de FO mais comme l’a dit un militant réformiste « Pascal, tu as ouvert la boite de Pandore, j’espère que tu as le mode d’emploi pour la refermer ! ».

À la suite de ce congrès, beaucoup d’interrogations

FO va-t-elle pouvoir surmonter les divisions qui ont marqué ce congrès ? L’histoire de cette organisation a pour l’instant démontré qu’elle pouvait les dépasser. Toutefois, ces désaccords internes risquent de la fragiliser.

Le discours « offensif » du nouveau Secrétaire général de FO est-il tactique pour tenter de rassembler l’organisation et dépasser la période « des ordonnances » ou s’agit-il d’un retour à l’ère Blondel et ses accents populistes qui pourrait séduire une base qui s’est réfugiée, comme celle de la CGT, dans un vote protestataire aux dernières élections politiques ?

Comment FO va-t-elle pouvoir faire entendre sa voix face à une CGT plus puissante avec encore de fortes capacités de mobilisation et ne pas paraître à sa remorque sur le syndicalisme de lutte ?

FO ne laisse-t-elle pas, comme l’a suggéré Jean-Claude Mailly, un boulevard à la CFDT dans le camp réformiste ? A contrario, face à un gouvernement qui souhaite marginaliser toutes les organisations syndicales interprofessionnelles, cette même CFDT ne vient-elle pas de perdre un allié, pas toujours facile mais de poids, dans les discussions avec le patronat et le gouvernement (15 % de représentativité) ?


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