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Une courbe en U du marché de l’emploi ?

samedi 13 février 2021

La polarisation de l’emploi (courbe en U) se caractérise par un affaissement des emplois moyennement qualifiés (ouvriers et employés), accompagné d’une montée des emplois les moins qualifiés et des emplois les plus qualifiés. Cela a pour conséquence une atrophie de la classe moyenne et une montée des inégalités. Est-ce bien vrai pour la France ? S’il y a bien une érosion des qualifications médianes au profit des professions de cadres, la DARES et l’INSEE ne décèlent en France aucune hausse de la part des emplois moins qualifiés. L’enjeu est crucial, car les politiques publiques doivent reposer sur une juste évolution du marché du travail, mis en danger par la crise sanitaire.

En France, après la croissance des années 1990, la part des employés peu qualifiés reste stable à 13 % de l’emploi : la plupart des métiers de services moins qualifiés n’ont pas connu d’embellie durable, à part les effectifs des aides à domicile et des assistants maternels.

L’évaluation par les salaires et le revenu moyen par profession : si nous répartissons la population en emploi en fonction du salaire en 4 groupes égaux représentant chacun 25 % de l’emploi, on constate que la part dans l’emploi des plus faibles rémunérations comme des rémunérations médianes a diminué depuis le milieu des années 1990. Celle des rémunérations élevées ou très élevées a augmenté, ce qui traduit une montée en qualification. Celle des faibles qualifications reste les mêmes.

  • Cette mesure d’analyse par les salaires est imparfaite car elle ne tient pas compte des débuts de carrière et des temps partiels. De plus elle exclut les indépendants, dont l’emploi s’accroit.
  • Pour remédier à ces inconvénients, on prend en compte un revenu moyen par profession et on classe les métiers selon le niveau de rémunération y compris les indépendants (+13 %) via leur revenu d’activité.

Pour les deux premiers déciles de salaire : on constate une quasi-stabilité des professions les moins rémunérées considérées comme peu qualifiées avec un vase communicant entre le recul dans l’emploi des ouvriers peu qualifiés et des petits et moyens agriculteurs vers l’augmentation dans l’emploi des personnels de service aux particuliers et des employés de commerce. Les professions qui déclinent le plus fortement sont les ouvriers qualifiés de type industriel et les employés administratifs d’entreprises situés au milieu de la distribution des salaires.

Entre le 3ème et le 5ème décile inclus, la part de l’ensemble des professions moyennement rémunérées a diminué de près de 6 points de pourcentage en 20 ans. Et les métiers qui progressent très sensiblement sont les cadres salariés du privé, qui comprennent les ingénieurs et cadres d’entreprises, les cadres administratifs et commerciaux d’entreprises.

Entre le 6ème et 8ème décile parmi les professions intermédiaires dont le revenu est supérieur à la médiane mais qui n’appartiennent pas aux mieux rémunérés, la progression dans l’emploi la plus marquée est celle des professions de la santé et du travail social : infirmiers, éducateurs, animateurs, préparateurs en pharmacie, etc… Ils affichent un dynamisme porté par le vieillissement de la population et par la socialisation des dépenses de santé et de protection sociale.

  • Le constat est plus contrasté et moins marqué pour les autres professions intermédiaires. La part des professions intermédiaires du privé progresse légèrement, mais celle des contremaîtres, plus souvent employés dans l’industrie, décline.
  • Dans la fonction publique, la part des professions intermédiaires s’érode assez fortement, en raison d’un recrutement de plus en plus qualifié, sauf pour les professeurs des écoles/instituteurs.

La distribution de l’emploi par niveau de qualification estimé par la distribution des salaires des professions n’est cependant pas un processus uniforme dans le temps et pour l’ensemble des qualifications. La part des personnels de service aux particuliers a cessé de s’accroître, car elle était très tirée par les aides à domicile. Celle des employés de commerce décline, victimes du e-commerce et de l’automatisation des caisses, tandis que la part des ouvriers peu qualifiés s’abaisse encore plus fortement.

  • En revanche, la part de l’emploi moyennement qualifié recule continûment, particulièrement après 2008 (-3,7 points de pourcentage). La crise de 2008, qui a beaucoup affecté les ouvriers de l’industrie et de la construction, a donc accentué l’érosion des qualifications médianes, que la désindustrialisation avait déjà affaiblies.
  • Dans les professions intermédiaires, au contraire des peu qualifiés, c’est la période post-2008 qui marque une progression sensible, avec +1,5 point de pourcentage. Les professions intermédiaires du privé se redressent après un recul avant crise, ce qui traduit une forme de « déplacement » des qualifications dans l’industrie, la construction ou la logistique : les recrutements se font à un niveau plus élevé que celui d’ouvrier qualifié.

La part des métiers les mieux rémunérés, soit les 9ème et 10ème déciles, a progressé de près de 4 points de pourcentage en vingt ans, ce qui atteste une montée en qualification des emplois.

  • Cette évolution s’avère moins marquée depuis 2008 pour les ingénieurs et les cadres d’entreprises, dont l’activité dans les services qualifiés aux entreprises ou dans l’industrie est plus sensible au retournement conjoncturel.
  • C’est l’inverse pour les professions libérales, dont la part décline dans un premier temps avant de se redresser après 2008, en même temps que le travail indépendant rebondit.

Si les constats sont proches, la distribution des qualifications par la catégorie socioprofessionnelle ou associée aux salaires ne se recouvre pas totalement. En 2017, les employés peu qualifiés comptent pour 13 % de l’emploi selon la catégorie socioprofessionnelle et pour 11 % selon le salaire par grandes catégories de métier. Ex : les employés de commerce regroupent ainsi les vendeurs aujourd’hui recrutés à un niveau de diplôme plus élevé en moyenne que les caissiers ou les employés de libre-service.

Si les travaux américains établissent pour les États-Unis une polarisation qui se manifeste par une courbe en U - les deux traits verticaux du U représentant la hausse des peu qualifiés et des très qualifiés, le creux central symbolisant l’érosion du milieu de la distribution des qualifications - la France ne serait polarisée que d’un côté, avec une hausse des très qualifiés. Les métiers les moins rémunérés dans les services aux personnes (assistantes maternelles, aides à domicile) ou aux particuliers (coiffeurs, employés de l’hôtellerie-restauration, caissiers) n’ont progressé sensiblement que dans les années 1990.

Les qualifications se recomposent en permanence en fonction des profils recrutés, du progrès technologique, de la localisation des activités, de la fragmentation du travail qui impactent les conditions d’emploi et de travail. Et ces recompositions touchent aujourd’hui toutes les qualifications. Cela invite à un classement plus « complexe » et dynamique des professions, comparable internationalement, qui associerait plusieurs indicateurs et leur évolution dans le temps, pour identifier les métiers en fonction de la vulnérabilité de leurs conditions de travail et d’emploi et des caractéristiques socioéconomiques des professionnels qui les exercent (diplôme, sexe, âge, expérience…).


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