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Un Sommet social européen à Porto pavé de bonnes intentions…

samedi 29 mai 2021

Les 7 et 8 mai s’est tenu à Porto, sous l’impulsion de la présidence portugaise de l’Union européenne, un Sommet social. Quatre ans après la proclamation du Socle européen des droits sociaux, adopté lors du Sommet de Göteborg en 2017 sous la présidence suédoise, ce Sommet de Porto avait pour ambition de concrétiser les éléments de ce Socle dans un Plan d’action. Sur les intentions c’est un grand succès, sur la concrétisation, cela reste à voir.

Ce Sommet [1] était composé de deux parties : une conférence de haut niveau avec les partenaires sociaux le 7 mai et une réunion informelle des chefs d’État ou de gouvernement de l’UE le 8 mai.

Cette relance de la politique sociale européenne marque, comme le souligne la CES et son Président Laurent Berger, un « tournant symbolique » après les dix années de la présidence catastrophique de Manuel Barroso et la première timide relance de Jean-Claude Juncker. La Commission et en tout cas sa Présidente et le Commissaire en charge des affaires sociales semblent convaincus qu’une relance économique post-Covid doit comporter une dimension sociale forte et que les partenaires sociaux doivent y jouer un rôle essentiel. Si ce n’était le cas il leur suffirait de regarder le dernier sondage d’Eurobaromètre de début 2021 qui montre que 88 % des Européens considèrent que l’Europe sociale est importante pour eux personnellement.

La première partie du Sommet social a permis l’adoption d’une déclaration conjointe ambitieuse [2] dans la perspective d’une relance économique post-Covid-19 et pour une transition verte et numérique. Les partenaires sociaux, des représentants de la société civile et les responsables des institutions européennes se sont accordés sur une liste d’objectifs la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux acté à Göteborg en 2017, le maintien des mesures d’urgence aussi longtemps que nécessaire, une reprise inclusive, durable, juste et riche en emplois, un salaire équitable pour tous, l’égalité salariale femmes-hommes, la lutte contre la pauvreté.

Le sommet social du 7 mai a été une réussite selon la CFDT qui voit dans la déclaration unanime, publiée à son issue, une réelle avancée. « La déclaration du sommet social est signée. Nous poursuivrons notre combat en Europe pour la concrétiser dans la vie de chaque travailleuse et travailleur (Laurent Berger sur Twitter le 7 mai) ».

Les objectifs fixés sont ambitieux à l’horizon 2030. Au moins 78 % des personnes âgées de 20 à 64 ans devraient avoir un emploi (actuellement le taux est de 72,4 % au troisième trimestre 2020) ; au moins 60 % des adultes devraient participer à des activités de formation chaque année (en 2016 le taux était de 37 %) ; le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale devrait diminuer d’au moins 15 millions (en 2019 environ 91 millions de personnes dont 17,9 millions d’enfants étaient menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale). Doit-on rappeler pour ce dernier objectif que dans la stratégie 2020 adoptée en juin 2010 l’objectif fixé par les Chefs d’État et de gouvernements était de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté d’ici 2020 ! Et les chiffres donnés par la Commission montrent pourtant que la proportion de travailleurs pauvres a augmenté de 8,3 % en 2007 à 9,4 % en 2018 (c’est-à-dire avant la crise Covid !). La première exigence est donc bien d’assurer un minimum de ressource décent, en premier lieu en instaurant un salaire minimum !

Le 8 mai les Chefs d’État et de gouvernement ont acté la contribution des partenaires sociaux en particulier sur le dépassement du PIB comme indicateur de bien-être des citoyens en le complétant d’un ensemble d’indicateurs alternatifs pour mesurer les progrès économiques, sociaux et environnementaux. Le Conseil informel a également entériné le Plan d’action de la Commission pour la mise en œuvre du Socle social européen.

Unité sur les intentions, division sur les moyens

Au-delà d’un texte important, signé conjointement par les responsables des institutions européennes et les partenaires sociaux, qui marque une évolution très intéressante sur la dimension sociale de cette nouvelle phase de la construction européenne, n’y a-t-il pas une divergence fondamentale sur les moyens à utiliser pour réaliser cette dimension sociale ?

La CES, comme l’a déclaré son secrétaire Général Luca Visentini, veut que le Socle social européen et son plan d’action soient traduits dans des législations européennes soutenus par le financement nécessaire « Tout le reste est bla, bla… »

Pour le patronat européen comme l’explique prudemment son Président Pierre Gattaz « sans être d’accord avec toutes les propositions de politique sociale de la Commission, BusinessEurope a signé la déclaration de Porto ». Cette réserve est renforcée par les termes du discours de Pierre Gattaz lors de ce Sommet social : « La crise profonde à laquelle nous sommes confrontés est un défi de taille pour les entreprises. Imposer une charge supplémentaire aux entreprises compromettra la reprise économique de l’Europe et réduira les moyens de créer des emplois et d’investir dans la transition verte et numérique. Les dirigeants européens devraient utiliser en priorité des mesures non législatives pour atteindre les objectifs sociaux (souligné par l’auteur) ». C’est là, au-delà des déclarations de principe et d’intention, une constante du patronat européen de refuser toute régulation sociale de l’UE. Cela est vrai pour le salaire minimum contre lequel BusinessEurope s’opposera jusqu’à la fin ou jusqu’à la dénaturation de la proposition, mais aussi pour une autre proposition de la Commission sur la transparence salariale pour combattre les inégalités, ou encore sur le droit à la déconnexion demandé par le Parlement européen sur lequel la Commission s’est engagée à assurer un suivi. Là encore BusinessEurope s’appuyant sur un accord, non contraignant, des partenaires sociaux s’oppose abusivement à l’établissement d’un droit législatif [3].

Passer de l’ambition à l’action

La Commission a fait sa part du travail en présentant en mars son Plan d’action [4] .Ce plan maintenant validé par les partenaires sociaux et les Chefs d’État et de gouvernement définit un certain nombre d’initiatives de l’UE que la Commission s’est engagée à entreprendre au cours du mandat actuel (jusqu’à la fin de 2024).

La CES pourra certainement s’appuyer sur le Parlement européen et la Commission pour le renforcement des propositions ou au moins le maintien des propositions. Le patronat exercera lui son lobbying sur les membres du Parlement mais surtout sur les États membres qui sont très divisés sur des mesures contraignantes en matière sociale.

Le rôle du Parlement européen sera donc fondamental pour passer des intentions aux actes en imposant une amélioration des propositions de la Commission et un cadre plus normatif, dans la négociation qui s’annonce difficile avec le Conseil européen.

Un premier bilan des initiatives communautaires pourra être fait pendant la Présidence française de l’UE qui se déroulera du 1er janvier au 30 juin 2022. Mais, pour vraiment évaluer la mise en œuvre du Socle social européen et du Plan d’action, un nouveau « Sommet de Göteborg » pourrait être organisé en 2023 pendant la Présidence suédoise de l’UE, six ans après l’adoption du Socle et deux ans après le Sommet de Porto et l’adoption du Plan d’action.


Notes :

[1Ce Sommet Social a rassemblé les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union européenne (le Président Emmanuel Macron y était présent), la présidente de la Commission européenne et les commissaires en charge du domaine social, le président du Conseil européen, le président du Parlement européen, les représentants des groupes politiques du Parlement européen, les partenaires sociaux européens ainsi que des représentants de la société civile.

[2« L’Engagement social de Porto » a été signé par le Secrétaire général de la CES, Luca Visentini, le Président de BusinessEurope, Pierre Gattaz, le Président de SGI Europe (employeurs des entreprises publiques et/ou d’intérêt général), Pascal Bolo, le Président de SMEunited (employeurs PME) Alban Maggiar, le Président de la Plateforme sociale européenne, Piort Sadowski, le Président du Parlement européen, David Sassoli, la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen et le Premier ministre portugais Antonio Costa.

[3Pour BusinessEurope, « l’accord-cadre des partenaires sociaux européens sur la numérisation couvre déjà des questions clés liées à l’utilisation des outils numériques sur le lieu de travail (organisation du travail, conditions de travail) et aide les partenaires sociaux à travailler ensemble pour récolter les bénéfices mais aussi relever les défis de la transition numérique. Cela signifie également qu’un droit à la déconnexion ne devrait pas être introduit au niveau de l’UE (souligné par l’auteur) ».