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Santé au travail : un rapport pour une transformation du système de prévention !

mercredi 19 septembre 2018

À la demande du gouvernement, Charlotte LECOCQ, députée LREM du Nord, Bruno DUPUIS, consultant senior en management et Henri FOREST, ancien secrétaire confédéral CFDT ont rédigé le rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » qui propose de transformer en profondeur le système de prévention notamment en regroupant les structures actuelles dans une même entité régionale et nationale. Henri Forest, co-auteur du rapport, a accepté de répondre à nos questions.

Clés du social : Le rapport s’ouvre sur un bilan contrasté du système de santé au travail français.

Henri Forest : Tendanciellement, l’amélioration des indicateurs de la santé au travail stagne depuis ces dernières années. Dans certains secteurs le nombre d’accidents du travail (AT) augmente fortement. Même si le taux de fréquence des AT est globalement en baisse, leur gravité augmente. Si le nombre des maladies professionnelles baisse, il faut reconnaître que les conditions pour les reconnaître se sont durcies.

En dehors des enquêtes de la Dares, nous manquons d’études sur les altérations de la santé liées au travail. Nous ne disposons pas par ailleurs en France de beaucoup d’indicateurs sur la pertinence des actions de prévention en matière de santé au travail. Le rapport préconise des études adaptées, et même de mettre au point des indicateurs démontrant que la qualité de vie au travail augmente la performance économique de l’entreprise.

Clés du social : Le rapport entend supprimer les services de santé au travail. Pourquoi changer et surtout pour remplacer par quoi ?

Henri Forest : Les services rendus par les services de santé au travail (SST) ne répondent globalement pas aux besoins des entreprises et des salariés en matière de prévention et les offres de services délivrées sont totalement hétérogènes suivant les territoires. Les SST restent très centrés sur l’approche médicale, le suivi individuel des salariés. Leur offre de services en matière de prévention primaire prévue par les textes n’a globalement pas été développée. In fine, en dehors de la visite médicale systématique, leur service rendu n’est pas perçu, voire est méconnu par la plupart des utilisateurs. Nous avons par ailleurs fait le constat que les différents organismes de prévention travaillent actuellement de façon éparpillée, parfois même concurrente. Leur coordination induit une perte de temps et d’énergie.
Partant des besoins des usagers, nous proposons de regrouper tous les organismes de prévention pour offrir des services de proximité répondant à cinq objectifs destinés à en améliorer l’efficacité au profit des utilisateurs :

  • Le suivi individuel de la santé ;
  • Le conseil technique en prévention ;
  • La formation en risques professionnels ;
  • Le maintien dans l’emploi ;
  • L’observation et la veille sanitaire.

Dans ces structures de prévention régionale, nous proposons qu’il y ait un guichet unique pour que chaque entreprise et chaque salarié puisse avoir accès facilement à une offre de services homogène sur l’ensemble du territoire.

Clés du social : C’est une véritable révolution ! Que vont devenir les anciennes structures dont certaines ont un caractère presque historique ?

Henri Forest : Ces nouvelles structures de prévention à gestion paritaire regrouperont au plan régional les SST, l’Aract, l’agence régionale de l’OPPBTP, les préventeurs de la Carsat. L’idée est, outre le regroupement des compétences, de bien distinguer ce qui relève de l’accompagnement en prévention de ce qui relève du contrôle. Ainsi les Carsat combinent actuellement un rôle d’assureur et de contrôleur avec une mission de prévention. Les préventeurs des Carsat rejoindront le giron des structures régionales qui œuvrent exclusivement à la prévention. Il y aura des résistances. Mais si cette mesure répartissant de façon nouvelle l’ensemble de ceux qui œuvrent pour la prévention n’est pas retenue, notre scénario perd son sens.

Clés du social : Une structure va être mise en place au plan national, France Santé au travail

Henri Forest : En cohérence avec le niveau régional, nous proposons de regrouper dans une même structure publique à gestion tripartite l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Là aussi, il s’agit de regrouper les compétences nécessaires et éviter les redondances.

Clés du social : Comment financer la prévention ?

Henri Forest : Le financement de la prévention des risques est très peu lisible alors qu’il représente au total environ 2 milliards d’euros par an. Il est fractionné, réparti entre le ministère du travail pour l’ANACT, la branche ATMP de la CNAM supervisée par le ministère des solidarités et de la santé pour les actions de prévention des Carsat et les entreprises pour les SST. Nous proposons donc de regrouper ces sources de financement dans un fonds unique. Nous suggérons également d’unifier les cotisations ATMP et celles relatives aux SST en une cotisation « santé travail » recouvrée par les Urssaf qui tienne compte de la sinistralité et de la nature des entreprises ainsi que de leur engagement en matière de prévention.

Clés du social : La nouvelle architecture du code du travail distinguant les niveaux de l’ordre public, de la négociation et du supplétif peut-elle s’appliquer en matière de santé au travail ?

Henri Forest : Nous proposons de rendre dans certaines conditions les décrets applicables à titre supplétif. Lorsque l’entreprise adopte des dispositions de prévention qui répondent aux mêmes objectifs que la réglementation sans en suivre les modalités d’application concrètes, le décret serait alors applicable à titre supplétif.

Plutôt que d’avoir un encadrement juridique inappliqué, l’idée est d’être plus souple. Dès lors que l’employeur fait la preuve d’une mise en œuvre des mesures appropriées, il n’y a pas lieu de le sanctionner.

Clés du social : Le futur système de prévention devra accueillir les travailleurs indépendants

Henri Forest : La logique est la prise en compte de l’individu tout au long de son parcours professionnel, qu’il soit salarié ou non. C’est le sens de l’histoire. L’ouverture concerne d’ailleurs aussi les employeurs, en nous inspirant du système de la mutualité sociale agricole (MSA). Il n’y a aucune raison que les employeurs artisans, confrontés à des difficultés personnelles en matière de santé, ne soient pas intégrés à cette nouvelle possibilité de service. Cette offre peut non seulement les aider mais également leur faire prendre conscience de ce que peut être une structure de prévention en matière de santé au travail. S’agissant des indépendants, c’est une nécessité, leurs conditions de travail étant parfois déplorables.

Clés du social : Compte tenu de l’importance des transformations que vous proposez, pensez-vous que le gouvernement reprendra vos propositions et ne craignez-vous pas les réticences des différents acteurs, des instances existantes elles-mêmes et des partenaires sociaux ?

Henri Forest : Ces propositions ont pour but l’intérêt général et visent à améliorer le dispositif au profit de la santé au travail de tous les travailleurs. Elles ne manqueront toutefois pas de soulever des objections, des freins, voire des résistances dont certaines sont d’ailleurs déjà à l’œuvre :

 Les employeurs régionaux qui organisent actuellement les services de santé au travail (avec quelques intérêts patrimoniaux…), qui voient d’un mauvais œil le transfert de cette responsabilité à des structures régionales à gouvernance clarifiée et, de la même façon, Presanse, l’association des présidents et directeurs de SST (émanation des employeurs) dont l’utilité autoproclamée sera remise en cause ;

 les organismes de prévention qui devront se regrouper :

  • la CNAM par la voix de son directeur a déjà annoncé qu’elle était hostile au transfert des préventeurs de la branche Risques Professionnels vers la structure nationale ;
  • l’OPPBTP par la voix de son directeur soutenu par certaines branches professionnelles ou fédérations syndicales du BTP ;

 Enfin si la réforme est suivie, la conduite du changement nécessitera un accompagnement fort vis-à-vis des des personnels concernés et des différents volets techniques à traiter : fusions au plan national et régional, statuts des salariés concernés, réaménagement des circuits de financement…

Le gouvernement lui-même a-t-il une réelle volonté de reprendre à bras le corps ce dossier de la prévention pour en faire enfin une réelle politique ? Je n’ai pas la réponse aujourd’hui.

Il s’est contenté pour l’instant de demander aux partenaires sociaux l’ouverture d’une négociation autour des axes proposés par le rapport. Il est trop tôt pour dire, si, face à l’ampleur des enjeux, les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel se saisiront des propositions du rapport, surtout si le gouvernement n’affiche pas plus clairement sa volonté. Un autre point névralgique de cette négociation sera l’articulation des prérogatives entre État et partenaires sociaux et la qualité du paritarisme dans le pilotage et la gouvernance du système tel qu’il est proposé. Les organisations patronales ne souhaitent pas, tout comme les organisations syndicales, faire de la figuration face à l’État. Les organisations syndicales ne voudront pas d’un paritarisme déséquilibré au profit du patronat.


Lien : Rapport Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée
https://www.gouvernement.fr/.../rapport_de_mme_charlotte_lecocq_sur_la_sante_au_travail_-_28.08.2018.pdf