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RSE, la relation ONG-syndicats

vendredi 10 décembre 2010

Faut-il institutionnaliser les relations entre ONG et entreprises ? se demandait le 2 septembre le Forum citoyen pour la RSE.

Quelles relations ?
Faut-il institutionnaliser les relations entre ONG et entreprises ? se demandait le 2 septembre le Forum citoyen pour la RSE. Des représentants d’organisations non gouvernementales et de quelques unes de la dizaine d’entreprises que l’on retrouve de colloque sur la RSE en séminaire sur le développement durable ont débattu sur ce point, des universitaires, des syndicalistes et des étudiants intervenant de la salle. Un certain nombre de grandes entreprises ont établi des relations avec les organisations non gouvernementales, en particulier en faisant participer leurs représentants à des panels sociétaux ou de développement durable. Philippe Lévêque, directeur général de Care, une importante ONG de développement qui agit dans une soixantaine de pays, et Vincent Godebout, responsable secteur mécénat et partenariats au Secours Catholique, disent l’un et l’autre qu’il n’est « pas évident » de travailler avec une entreprise. L’entreprise et les ONG qu’elle sollicite n’ont pas toujours envie de parler de la même chose : par exemple, une entreprise française très en pointe sur la responsabilité a mis plus d’un an à accepter que le panel aborde la question de la corruption. Pour être respectée par l’entreprise, l’ONG doit garder sa liberté de parole, ce qui, d’après un intervenant, lui est plus facile qu’à un syndicaliste de l’entreprise ou au directeur du développement durable.

Des partenariats efficaces
Pour la directrice du pôle sociétal d’EDF, Marie-Claude Guilbaud, en travaillant avec les ONG, l’entreprise poursuit un but à la fois social et économique. L’électricien tend aujourd’hui à restreindre le nombre de ses partenariats, en recentrant son action sur l’accès à l’énergie et l’appui au développement local, notamment en matière d’isolation des logements et d’éducation des populations. Les relations de confiance se construisent dans la durée, entreprise et ONG doivent apprendre à se connaître et à respecter les valeurs de l’autre. C’est aussi dans la durée que se construisent les partenariats efficaces. L’ONG apporte ses compétences, son expertise, sa connaissance du milieu local, son savoir-faire opérationnel. Mais les ONG n’ont pas réponse à tout, souligne Vincent Godebout, elles connaissent bien les populations qu’elles accompagnent, elles ont leur confiance mais disposent de moyens limités. La légitimité des ONG se construit par l’expertise et le nombre de donateurs, ainsi que, dans le cas des associations d’aide, par le nombre de personnes secourues.

Comme le fait remarque Anne-Marie Ducroux, ancienne présidente du Conseil national du développement durable, qui a conduit pendant quatre ans des dialogues entre entreprises et ONG, nous sommes dans un moment d’expérimentation, de multiplication, on va arriver très vite à un seuil d’indisponibilité des acteurs. Jusqu’où ira la multiplication des panels ? se demande, de la salle, Corinne Gendron de l’Université Québec à Montréal. Sont-ils efficaces ? Les premières réunions sont souvent un peu convenues, ensuite des choses intéressantes se disent. Lors d’une réunion d’un panel, les techniciens exposaient les vertus d’un béton auto-nettoyant, Philippe Lévêque leur a expliqué qu’un béton qui repousserait les moustiques serait un véritable apport dans la lutte contre le paludisme et les chercheurs y réfléchissent. La présence des dirigeants d’ONG dans les panels doit-elle être rétribuée ? Pour les représentants de Care et du Secours catholique, l’indemnisation est indispensable : il n’est pas question que l’argent des donateurs, qui paye leur salaire, serve à alimenter gratuitement la réflexion des entreprises privées. L’expertise doit être rémunérée. Les entreprises ne fournissent que 4% des recettes de Care, 1,5% de celles du Secours catholique, l’indépendance financière de ces grandes ONG n’est pas mise en cause par les sommes versées, mais Olivier Maurel craint qu’il n’en soit pas de même pour de petites

ONG. Les membres d’Amnesty International France, qu’il représente, sont tous des bénévoles et par principe, cette organisation refuse toute participation financière des entreprises avec lesquelles elle réfléchit.

Entreprises et parties prenantes
Nous vivons une mutation économique et la relation des entreprises aux parties prenantes va jouer un rôle majeur, considère Patrick d’Humières, responsable de la communication et des partenariats au LEEM - les entreprises du médicament - le syndicat de l’industrie pharmaceutique. Le modèle classique de l’innovation thérapeutique par les entreprises a conduit à des progrès de santé dans le Nord, qui consomme 80% des médicaments produits dans le monde. La santé de demain aura toujours besoin d’entreprises qui inventent et font de l’innovation thérapeutique mais la profession n’a pas vu venir les enjeux éthiques et le procès de Prétoria1 a été « un séisme » car les laboratoires avaient juridiquement raison est socialement tort. Nul ne sait ce que sera demain le modèle de l’industrie pharmaceutique, alors que le droit des brevets évolue. Les entreprises doivent aller au devant de la société en allant au devant des parties prenantes, qui savent prendre l’initiative. Lors de l’affrontement entre Novartis et le gouvernement indien à propos des génériques2, des millions de donateurs de Care, d’Oxfam, de MSF, du secours Catholique, ont envoyé des messages électroniques à l’entreprise, bloquant son site. En quatre jours, ils ont fait plier la multinationale. Le secteur pharmaceutique, qui comporte beaucoup d’entreprises nord-américaines, n’a pas encore accepté l’idée que les offreurs de médicaments n’était plus tous puissants et que désormais différents acteurs entraient dans le jeu. Le LEEM a développé des relations avec les patients et leurs associations, après avoir tenté de les instrumentaliser. Aides et Act-Up ont poussé la recherche à s’adapter. Patrick d’Humières considère qu’il n’est plus possible d’inventer sans penser l’usage du médicament et son accessibilité par tous, et donc qu’il faut se concerter avec les différentes parties prenantes. Les entreprises produisent des antipaludéens selon le principe « no loss no profit », ni perte ni profit.

Amnesty International travaille avec le BLIHR - Business Leaders Initiative on Human Rights - qui regroupe une dizaine d’entreprises mondiales s’engageant sur le référentiel des droits humains de l’ONU, et sa branche française participe à EDH Entreprises pour les droits de l’homme, forum informel francophone (AREVA, BNPParibas, Casino, EDF, GDF, SanofiAventis, STMMicroelectronics, Suez) sur le même thème. EDH, qui réunit quatre ou cinq fois par an les directeurs du développement durable ou de l’éthique, accueille Amnesty International en deuxième partie de journée. EDH ne communique pas sur ses travaux, l’ONG y étant opposée. Amnesty International est la seule représentante des parties prenantes, elle souhaiterait la présence des confédérations syndicales CFDT et CGT, celle de la FIDH, d’Human Right Watch, de WWF et d’ONG environnementalistes, ainsi qu’un partenariat avec des ONG du Sud, soit directement soit indirectement via le CRID ou Coordination Sud.

Social et sociétal
L’entreprise ne joue t-elle pas les associations contre les organisations syndicales ? Pour Vincent Godebout, qui souligne les liens du Secours catholique avec le milieu des petites entreprises – six mille PME donatrices, participation au salon Planète PME, rencontres avec la CGPME et les chambres de commerce et d’industries - il n’y a pas de rivalité mais une véritable complémentarité des associations et des organisations syndicales. Les ONG savent faire du lobbying auprès des pouvoirs publics, elles savent moins bien s’adresser aux entreprises, alors que les organisations syndicales en ont l’habitude, dans un contexte de rapport de forces qui est tout à fait différent. Anne-Marie Ducroux ne croit pas au risque d’instrumentalisation, les ONG savent s’y prendre. Care n’est pas un auditeur, souligne Philippe Lévêque, il ne portera jamais de jugement de valeur sur l’action de l’entreprise car il ne peut pas vérifier la réalité sur le terrain. Jean-Pierre Sotura de la CGT admet la distinction entre les deux sphères du social et du sociétal. Pour Luc Martinet de la CFDT, le débat sur les relations ONG entreprises s’inscrit dans celui sur la place des parties prenantes dans la gouvernance publique et privée. Si la RSE est un sujet récent pour les universitaires et le grand public, il ne l’est pas pour cette organisation syndicale qui disait dès les années soixante-dix que la responsabilité de l’entreprise ne s’arrêtait pas aux portes de l’usine. Pour elle, les acteurs de la RSE sont multiples et légitimes mais il n’y a pas de légitimité sans responsabilité. Certaines ONG aiment distribuer des bons points sans s’engager, ce n’est pas la bonne manière de faire. Les relations entre entreprise et ONG doivent prendre place dans une démarche négociée dans un cadre réglementé par des textes négociés et non produits unilatéralement.

Quelle place pour les parties prenantes dans la gouvernance des entreprises ? Le conseil d’administration d’EDF compte, à côté des représentants de l’Etat et du personnel, un tiers de membres élus par l’Assemblée générale, dont un représentant des clients. Pour Patrick d’Humières, les parties prenantes devraient être dans les CA des entreprises, avec voix consultative. Olivier Maurel n’est pas d’accord. Amnesty International ne représente que ses adhérents. Au nom de quelle légitimité siègerait-il dans un conseil d’administration ou un comité d’entreprise élargi ? Une présence serait envisageable au niveau national ou de branche mais pas à celui de l’entreprise. Comme le fait remarquer Françoise Quairel, maître de conférences à Paris Dauphine, l’entreprise n’est pas l’interlocuteur privilégié des ONG qui travaillent sur des questions de bien public.