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Rapport du Comité d’évaluation des ordonnances : les CSE en difficulté !

mercredi 5 janvier 2022

Le comité d’évaluation des ordonnances a fait paraître le 16 décembre son quatrième rapport. De l’aveu même des rapporteurs, il est encore difficile aujourd’hui de se prononcer sur les effets à long terme de la réforme. Soucieux de ne pas tirer des conclusions trop hâtives ou trop négatives, les constats parfois sévères émanant des représentants du personnel sont souvent minimisés ou relativisés. Le diagnostic est tout de même préoccupant. Le dialogue social ne s’est pas amélioré dans les entreprises avec la mise en place des CSE. Il se serait même dégradé au vu des difficultés rencontrées par les élus du personnel. Et les perspectives ne permettent pas de faire preuve d’optimisme.

Nous ne traiterons ici que de la mise en œuvre de la réforme des institutions représentatives du personnel, principal objet de la réforme de 2017.

Quelques données chiffrées

Fin 2020, 90 000 entreprises s’étaient dotées d’un CSE. 49 000 avaient connu une situation de carence essentiellement dans les entreprises de moins de 50 salariés (85 % des situations de carence).

Le rapport estime à 8 600 les accords d’entreprise de mise en place des CSE. La dynamique attendue qui devait permettre aux acteurs de terrain de déterminer eux-mêmes les conditions du dialogue social n’a pas réellement eu lieu.

D’après les données disponibles fin 2019, 41 % des entreprises de plus de 10 salariés regroupant 79 % des salariés du secteur privé étaient couvertes par une institution représentative du personnel (CSE ou anciennes IRP). Un résultat sensiblement égal à ce qui existait avant la réforme : en 2017, 43 % des entreprises occupant 80 % des salariés avaient des représentants du personnel (CE, DP, CHS-CT).

La possibilité de créer des Commissions santé sécurité et conditions de travail (CSSCT) à partir de 300 salariés au lieu de 50 salariés pour les anciens CHS-CT fait que le taux de couverture de cette mission spécifique sur la santé au travail passe de 74,6 % en 2017 à 46,4 % en 2019. Et même si les CSE ont théoriquement la fonction de traiter eux-mêmes les questions santé et conditions de travail, l’articulation entre les CSSCT et le CSE n’est pas évidente.

2 142 entreprises seulement se sont saisies de la possibilité de mettre en place des représentants de proximité (25 % des accords de mise en place des CSE) essentiellement dans les entreprises de plus de 300 salariés (75 % des accords).

Les analyses du rapport

Les rapporteurs soulignent eux-mêmes la difficulté de réaliser un diagnostic définitif de la mise en œuvre de la réforme. Ils tentent toutefois de tirer quelques tendances à partir de différentes études menées à leur initiative et d’auditions telle que celle du cabinet Syndex que nous avons déjà cité dans notre publication.

Mais ils ne cachent pas, toutefois, une certaine déception : Ils constatent « peu d’évolutions dans la pratique du dialogue social mais plutôt un prolongement des tendances ou des réformes antérieures ».

Les avantages repérés de la réforme

Pour les employeurs, incontestablement, la fusion des instances représente un gain d’efficacité et une réduction des coûts. Ils trouvent que les échanges sont moins cloisonnés qu’avant. Le CSE serait plus en position de « pilote », de « vecteur central » ou de « régulateur » que ne l’était le comité d’entreprise. Pour eux « cet objectif de rationalisation des moyens et du fonctionnement des instances est atteint ». Au-delà de la mutualisation des informations qui est un plus, la fusion évite les « effets boomerang » qui existaient quelquefois entre CE et DP constatent les représentants du personnel.

Pour les élus, les inconvénients l’emportent

Mais pour les élus du personnel, les inconvénients l’emportent largement sur les quelques bénéfices tirés de la fusion des instances.

Des moyens à la baisse

Le premier élément est la question des moyens. Si dans les petites entreprises, il n’y a pas eu de baisse du nombre d’élus, cela est le cas dans les plus grandes avec la disparition des délégués du personnel et des membres des CHSCT qui venaient en plus des élus CE. Toutefois, le rapport relativise avec une certaine stabilité des moyens liés à la mutualisation des heures de délégation. Certaines entreprises ont par ailleurs négocié des moyens spécifiques pour certaines fonctions (secrétaires CSE, trésoriers, délégués syndicaux…). Mais la question des moyens se concentre surtout sur le temps disponible pour les élus en poste. Avec moins d’élus pour partager les tâches, il est plus difficile de concilier activité professionnelle et fonction d’élu.

Une activité d’élu plus lourde

D’autre part la concentration des instances fait que si les rencontres avec la direction sont moins fréquentes, elles sont plus longues avec des ordres du jour plus denses et un temps de préparation moindre. Les élus pointent aussi l’exclusion des suppléants des réunions du CSE ce qui concentre encore un peu plus la charge de travail sur les titulaires.

Avec la concentration des missions auparavant exercées par trois instances, les élus ressentent un travail plus exigeant, plus lourd et plus complexe et qui mobilise de nouvelles compétences. Les nouveaux élus sont en demande de temps, de formation, de plus de coordination et de souplesse dans le fonctionnement. Ex : les suppléants n’ont pas accès aux instances en présence du titulaire. Ce qui rend difficile le passage de témoin.

Certains éprouvent un certain épuisement et du découragement, ce qui pourrait à terme avoir de lourdes conséquences sur le renouvellement du CSE et le recrutement de nouveaux élus. Le rapport fait état de mise en retrait ou même de démission de certains élus.

Peut-on parler comme le fait le rapport de « simples difficultés d’adaptation ou d’adéquation entre les moyens des élus …et leurs nouvelles missions plus larges et plus exigeantes » ?

Une perte de proximité avec les salariés

Au-delà du manque de temps ou de moyens pour aller à la rencontre des salariés, la question « non résolue » de la proximité est posée. Moins d’instances de terrain avec la redéfinition des périmètres des CSE d’établissements dans les grandes entreprises, des élus moins nombreux et donc plus éloignés des salariés qu’ils représentent, tout concourt à éloigner les lieux de dialogue social de la réalité vécue par les salariés. Cela ne peut que renforcer le sentiment déjà existant d’inefficacité du dialogue social ressenti par une majorité de salariés (cf enquête Syndex).

Et cela d’autant plus que peu d’entreprises ont mis en place des représentants de proximité. Leurs prérogatives sont souvent peu ou mal définies dans les accords avec des moyens la plupart du temps inexistants. Ainsi, alors qu’ils auraient pu jouer un rôle de proximité dans la crise du Covid, ils n’ont finalement été que très peu sollicités selon les rapporteurs. La plupart des entreprises ont refusé de mettre en place ces représentants ne voulant pas recréer sous une autre forme les délégués du personnel.

Le rapport constate toutefois que les délégués syndicaux et des réseaux syndicaux dans l’entreprise pourraient compenser cette moindre présence des élus sur le terrain. Va-t-on assister à une forme de renforcement des organisations syndicales et des délégués syndicaux au détriment des élus ?

Autre constat, le renforcement d’une certaine hiérarchie syndicale dans l’entreprise avec au sommet le DSC, puis le secrétaire du CSE, les élus titulaires, les délégués syndicaux et les représentants de proximité.

Quoi qu’il en soit, pour la majorité des élus, cette réforme se traduit par un affaiblissement du poids des représentants du personnel.

Le point de vue des organisations

Les organisations syndicales et patronales ont pu émettre un avis sur le rapport du Comité d’évaluation. Du côté syndical, le ton est à la critique. Ainsi la CFDT juge que les analyses du rapport « minorent bien souvent les difficultés engendrées par les ordonnances ». La CFE-CGC résume l’installation des CSE par « faire beaucoup plus avec beaucoup moins ». Pour la CFTC, il s’agit d’un « rendez-vous manqué pour les représentants des salariés ». FO redoute l’élargissement des compétences des CSE qui risque d’aggraver encore les difficultés de fonctionnement des CSE et regrette l’éloignement des IRP vis-à-vis des salariés.

Du côté patronal, le MEDEF souligne les limites d’un travail d’analyse réalisé sur la base de témoignages « nécessairement subjectifs » d’acteurs sociaux qui peuvent avoir des préjugés négatifs ou de réelles préventions vis-à-vis de la réforme. Il a un regard plutôt positif sur la fusion des instances. Pour l’U2P, d’une façon plus générale « les ordonnances travail ont mis à disposition des chefs d’entreprise de proximité des outils leur permettant de formaliser, quand cela est nécessaire, le dialogue social au sein de leur entreprise tout en prenant en compte leurs spécificités ».

En conclusion

De tels points de vue divergents entre représentants des salariés et employeurs confirment s’il en était besoin le caractère déséquilibré de la réforme des instances représentatives du personnel. Si l’objectif recherché de la mise en place des CSE était d’améliorer le dialogue social pour le rendre plus fluide et efficace, on peut légitimement se demander si le remède n’est pas pire que le mal. Il est indispensable de répondre aux problèmes rencontrés par les élus du personnel notamment en termes de charge de travail et de proximité avec les salariés, sans quoi c’est l’existence même d’un dialogue social de qualité dans l’entreprise qui est posée à terme.


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