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La politique du logement, une urgence sociale

samedi 6 mars 2021

La Fondation Abbé Pierre publie son rapport annuel sur le logement, comme tous les ans à la même période. Cet important travail constitue une référence incontournable pour l’ensemble des acteurs intervenant sur le logement, qu’ils soient publics, institutionnels au niveau national ou décentralisé, opérateurs privés et associatifs, ou simplement citoyens à qui la parole doit être donnée, pour témoigner de l’urgence à bénéficier d’un habitat décent, au cœur de leur vie.

Ce 26ème Rapport annuel, intitulé L’état du mal-logement en France , décrit et analyse les conséquences durables de la crise du logement, déjà présente ainsi que le montraient les rapports précédents. En effet, cette crise sanitaire, née de la pandémie du Covid, est également une crise économique et sociale, faisant émerger les inégalités devant le logement, et de fait la souffrance subie par les victimes du mal-logement. Les politiques publiques ont été activées pour amortir les graves conséquences du mal-logement, notamment pour de nombreuses personnes vivant dans des bidonvilles, des quartiers dégradés, des habitats indignes ou surpeuplés… De même, n’oublions pas que plus de 300 000 personnes sont sans domicile fixe, dans la rue ou dans des hébergements d’urgence mal adaptés ou avec une offre d’habitat insuffisante.

Les chiffres du mal-logement

La Fondation Abbé Pierre s’appuie sur une actualisation de données prenant sa source sur une enquête nationale de l’Insee exploitée lors du rapport 2013, qui montre un important nombre de familles en situation de mal-logement, affectant profondément leur santé, leur environnement ou leur confort, situations au surplus généralement aggravées par des difficultés d’ordre financier. La vie au quotidien de millions d’habitants est ainsi percutée par le mal-logement qui nécessite un accompagnement social d’envergure, empreint d’une solidarité collective.

Le nombre de personnes dans des situations graves, mal-logées ou ne disposant pas d’un logement personnel, est estimé à 4,1 millions. Ce nombre inclut les personnes sans domicile fixe, ou vivant dans de difficiles conditions de logement, sans confort, ou de surpeuplement, ou dans des foyers…

Au-delà de ce nombre, qualifié dans le rapport de « noyau dur », la crise du logement atteindrait aussi 12,1 millions de personnes confrontées à cette situation, selon divers degrés de fragilité à l’occupation du logement. On décompte en effet 4,3 millions de personnes modestes vivant en surpeuplement « modéré » (une pièce manquante), 1,2 million de locataires en risque d’expulsion (impayés de loyers ou de charges), 1,1 million de propriétaires vivant au sein de copropriétés en grave difficulté financière et d’absence de travaux indispensables et enfin, 5,7 millions de personnes (ménages modestes) dont les dépenses de logement s’élèvent à plus de 35 % de leur revenu mensuel (ne laissant pour vivre qu’un revenu à 65 % du seuil de pauvreté) ; cette tranche de population inclut principalement les familles victimes de la précarité énergétique.

Ces chiffres font ressortir une dégradation de la situation du mal-logement, selon la Fondation Abbé Pierre, les indicateurs relevant un doublement du nombre de personnes sans domicile depuis 2012, alors que les chiffres de personnes en hébergement contraint chez des tiers ou en surpeuplement accentué ne cessent d’augmenter. Bien que continuant à s’acquitter de leur loyer d’une manière générale, les familles à revenus modestes subissent un excessif coût financier de leur logement, les contraignant à ne pas (ou au minimum) se chauffer. Il est cependant à noter l’encourageante amélioration du confort sanitaire, la quasi-totalité des logements disposant d’eau courante et chauffage.

L’impact de la crise sanitaire sur les mal-logés et la crise sociale

Si l’année 2020 s’est avérée catastrophique pour les Français les plus vulnérables, il est à craindre une dégradation continue en 2021, l’impact de la crise sanitaire marquant davantage, au fil des mois, la fragilité économique des personnes et de leurs familles. Un rétablissement positif de la situation économique ne suffira pas à sortir les personnes mal-logées, ou en situation d’exclusion sociale, de la précarité et un effort particulier doit être consenti par les pouvoirs publics, en accompagnant les ménages fragiles afin de les aider à surmonter leurs difficultés. Il est regrettable que seulement 0,8 % du plan de relance, voté en septembre 2020 (100 milliards), soit affecté aux « personnes vulnérables ». Devons-nous y voir le choix prioritaire du gouvernement de ne soutenir massivement que les entreprises (au titre du maintien de l’emploi ou des investissements), jugeant par ailleurs trop coûteuses les mesures sociales en faveur des plus précaires ? Depuis, diverses aides ont été ajoutées par le gouvernement aux ménages au RSA ou aux APL et aux jeunes non étudiants, ainsi que la garantie d’un revenu mensuel de 900 € aux travailleurs précaires jusqu’à fin mai.

Une attention particulière doit être portée sur le constat concernant les personnes sans domicile ou en total isolement pour lesquelles les périodes de confinement se sont traduites par la privation de besoins de première nécessité, rendant quasiment impossible le respect des mesures barrières. Quelques solutions ont pu être apportées dans certains territoires, mais généralement insuffisantes, elles n’ont pas permis le rétablissement des liens sociaux (informations sociales et consignes sur l’épidémie notamment, accès au droit…) ou la possibilité d’occuper des « petits boulots » devenus rares en cette période de crise. Il convient de souligner les actions remarquables maintenues et amplifiées par les réseaux d’associations d’aide aux plus démunis. Enfin, force est de constater que durant l’année 2020 et encore aujourd’hui, la création d’hébergements supplémentaires s’avère insuffisante pour combler les besoins réels des personnes sans abri.

Si les personnes mal-logées ont vu leurs conditions de vie se dégrader fortement, les risques de contamination ont aussi été amplifiés. Médecins Sans Frontières a ainsi montré dans une étude, durant l’été 2020, que 52 % des personnes vivant dans des conditions de grande précarité (hébergement dans des centres, foyers…) ont été atteintes par le virus Covid19. De même, le surpeuplement dans les logements, d’après une enquête EpiCov, a contribué à un taux de 9,2 % de personnes contaminées en mai 2020, soit le double de la population générale. Le confinement a ainsi exacerbé les inégalités face au logement et 37 % seulement des personnes vivant avec moins de 1 250€ par mois ont trouvé leur logement adapté au confinement, alors que ce pourcentage est de 61 % dans le cas de revenus supérieurs à 3 000€.

Certains quartiers dont les Quartiers politique de la ville (QPV), subissant déjà les effets d’une grande précarité, ont été les plus durement touchés par la crise sanitaire et leurs habitants ont éprouvé un « sentiment de vivre enfermés », du fait de l’absence de balcons ou jardins privatifs dans leur logement, et en raison de la fermeture des parcs, squares et équipements publics. Sont intervenues dans le même temps des ruptures sociales flagrantes liées aux difficultés, parfois insurmontables (voir l’exclusion numérique), de joindre par exemple les services dédiés à l’accompagnement social (fermetures de lieux d’accueil…), bien que nombre d’entre eux aient fait preuve d’adaptabilité face à cette situation inédite et brutale. Une approche de l’accompagnement qui englobe le bien-être des personnes au regard de l’ensemble des besoins de leur famille a été adoptée. De nombreux ménages, privés de ces services, n’ont pu bénéficier d’aide à des démarches administratives, essentielles dans le logement social, comme l’actualisation de l’APL ou l’obtention d’un logement auprès de bailleurs.

Nous pouvons toutefois relever un effort dans la mise en œuvre de pratiques innovantes, minoritaires car ces types d’actions n’ont pu être suffisamment coordonnées, dans un temps aussi limité, leur déploiement par les pouvoirs publics intervenant ainsi inégalement. Il n’empêche que certaines aides d’urgence déterminantes sont intervenues, comme la distribution de « chèques services » dont ont bénéficié des ménages, leur apportant aussi une autonomie d’utilisation (choix de denrées ou autres biens…). Par ailleurs, la solidarité exemplaire et la mobilisation dont ont fait preuve les permanents et bénévoles associatifs et les réseaux d’habitants, ont permis, dans l’urgence, un soutien aux personnes fragilisées par la crise. Il incombe maintenant aux pouvoirs publics de financer cette aide, faute de quoi ces actions ne pourront être maintenues dans la durée. Concernant la mobilisation du ministère du Logement, la Cour des comptes souligne que des mesures exceptionnelles prises ne s’appuient pas sur des outils opérationnels de gestion de crise non disponibles préventivement.

S’agissant de poser les termes du mal-logement dans le « monde d’après » et au regard du Plan de relance, la crise économique et sociale renvoie à l’augmentation du nombre de personnes et ménages en grande précarité et à la lutte contre la pauvreté. La protection sociale dont bénéficient les Français les plus vulnérables a été mise à mal en 2020 et la crise sanitaire se prolongeant en 2021 ne donne pas de signes qui permettent de cerner avec une assurance suffisante ce « monde d’après », thème largement repris depuis plusieurs mois.


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