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La France n’est pas un pays coupé en deux

mercredi 16 juin 2021

Contrairement à bien des idées reçues sur une France coupée en deux, en opposition systématique entre grandes métropoles et territoires oubliés ou périphériques, les dernières enquêtes et recherches donnent un autre visage de notre pays à rebours des analyses lors de la crise des gilets jaunes. D’abord, les inégalités se réduisent entre les territoires français sur le temps long. Ensuite, il y a davantage de disparités des revenus dans les grands pôles urbains, en particulier en Île-de-France, dans les deux départements d’Outre-mer et dans les communes denses que dans les villes moyennes ou dans le rural. La pauvreté y est également plus présente.

Les inégalités se réduisent entre les territoires français

Dans un livre paru en 2020, Les inégalités de revenus entre les départements français depuis 100 ans, les auteurs démontrent qu’en 2015, les inégalités entre départements ont atteint leur plus faible niveau depuis 100 ans. Le phénomène s’est produit essentiellement par le rattrapage des départements les plus pauvres. Les auteurs soulignent qu’il y a moins de fractures aujourd’hui entre urbain, périurbain et rural. Ils s’appuient aussi sur les enquêtes de l’INSEE qui montrent que si le revenu disponible brut a progressé entre 2007 et 2017 en Île-de-France de 8,4 %, il a dans le même temps progressé de 12,6 % dans le Grand-Est, considéré comme une région en difficulté à cause de la désindustrialisation.

Un niveau de vie et des disparités de revenus plus élevés en Île-de-France et dans les communes denses

Nous savons grâce à l’INSEE que le niveau de vie médian est plus élevé en Île-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes, régions qui concentrent aussi plus de la moitié des très hauts revenus. L’Île-de-France, par exemple, détient la proportion de cadres la plus forte des régions (30 % pour une moyenne nationale de 18 %).

Malgré cela, dans ces communes denses, les inégalités sont plus importantes. L’écart entre le niveau de vie « plancher » des 10 % les plus aisés et le niveau de vie « plafond » des 10 % les plus modestes, est de 4,2 pour les communes denses, comparé à 2,9 pour les communes très peu denses. Les inégalités sont plus fortes en Île-de-France notamment à Paris (6,3) et dans les Hauts-de-Seine (4,9), mais aussi à La Réunion (4,4) et en Martinique (4,2). Dans ces deux territoires c’est à cause du nombre important de faibles revenus. En revanche, pour l’INSEE, les inégalités sont plus faibles (rapport inférieur à 2,9) dans les Pays-de-la-Loire et en Bretagne, où les niveaux de vie se concentrent plus autour d’une médiane.

Des situations de pauvreté plus présentes dans les communes denses

Là aussi, les enquêtes de l’INSEE permettent une autre lecture que des arguments politiques et idéologiques assénés quotidiennement. Le taux de pauvreté des communes densément peuplées est de 18,2 %. C’est le taux le plus élevé de la France. Ces communes regroupent 37 % de la population des ménages fiscaux et 46 % de la population pauvre. Elles se situent dans les grandes agglomérations, où se trouvent notamment les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Et à l’inverse, dans les communes peu denses, ces proportions sont respectivement de 30 % et 21 %, avec un taux de pauvreté de 10,8 %.

Pourquoi ces différences ?

La composition du niveau de vie des personnes varie selon les territoires. Il dépend des revenus du patrimoine et du travail, du niveau des impôts, des pensions et des retraites, du nombre d’actifs et de retraités…

Dans ce contexte, certains territoires sont plus fragiles que d’autres. Mais, là aussi contrairement à certaines affirmations, les territoires les plus fragiles sont les plus soutenus par les pouvoirs publics. Pour les auteurs du livre sur les inégalités de revenus entre les départements français et l’économiste Laurent Davezies, trois mécanismes dans les politiques publiques expliquent cela.

  • Les prélèvements obligatoires dans notre pays (impôts, cotisations sociales…) pèsent plus sur les métropoles car elles renferment plus d’emplois. Certains diraient qu’elles sont plus taxées et elles reçoivent moins que ce qu’elles donnent.
  • Les politiques de redistribution aux individus (sécurité sociale, allocation logement, chômage…) et aux communes sont plus fortes que dans bien des pays au monde.
  • L’existence des emplois non marchands (fonctionnaires, subventions aux associations…) dans tous les territoires.

À ces trois explications, les auteurs rajoutent un phénomène de mode de vie qui va certainement s’amplifier avec le télétravail, le flux des navetteurs, ces salariés qui travaillent en ville et habitent le périurbain ou des régions lointaines. Ils produisent en ville mais consomment ailleurs.

Aussi, pour l’économiste Laurent Davezies, l’État a toujours soutenu ses territoires, ce n’est pas lui qui les abandonne. Au contraire, ce sont les entreprises et les gens.

En conclusion, il serait bon d’abandonner le mythe d’une France coupée en deux dans le débat public. Cette explication n’est pas la bonne. Il convient de poser un bon diagnostic si on veut agir avec pertinence. Les questions à traiter ne manquent pas : la pauvreté dans les villes, les différences entre métropole et Outre-mer, les concentrations sur les littoraux, le développement durable et l’urbanisme, les politiques de transports…


Sources

  • L’État a toujours soutenu ses territoires, Laurent Davezies, Seuil, 2021
  • Les inégalités de revenus entre les départements français depuis 100 ans, Florian Bonnet, Hyppolite d’Albis, Aurélie Sotura, 2020
  • Revue Alter-éco, n° 413, juin 2021