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Faire le même travail jusqu’à la retraite ?

samedi 29 avril 2023

En France, en 2019, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des risques professionnels, physiques ou psychosociaux, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment d’insoutenabilité dans le travail. C’est le cas pour les métiers pénibles, les métiers les moins qualifiés, les métiers au contact du public, ceux du secteur du soin et de l’action sociale. Ces salariés ont des carrières plus hachées, des fins de carrière difficiles, ils partent plus tôt à la retraite notamment pour des raisons de santé. Les mobilités vers une organisation du travail qui favorise l’autonomie, la participation des salariés ou le statut d’indépendant sont des moyens pour échapper à l’insoutenabilité du travail.

Offrir « un travail décent pour tous » est un des 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU en 2030. En France, le 4ème Plan Santé au travail vise « à améliorer durablement la santé au travail de chacun » et le compte professionnel de prévention permet un début de reconnaissance institutionnelle de la pénibilité au travail de chacun. La soutenabilité du travail est à apprécier sur l’ensemble de la carrière et dépend de multiples dimensions relatives à l’organisation et aux conditions de travail mais aussi à la situation du salarié, son état de santé ou l’articulation de son travail avec sa vie privée.

Les enquêtes Conditions de travail sont réalisées par la DARES (direction de l’animation de la recherche des études et des statistiques) depuis 1978. L’enquête est conduite tous les 3 ans, auprès d’individus âgés de 15 ans et plus résidant en France. Le panel de personnes, 3 ou 6 ans après, est réinterrogé au moins une fois, quel que soit le statut d’activité lors de cette nouvelle interrogation (emploi salarié, emploi non salarié, chômage ou inactivité). L’enquête interroge les salariés sur leur « capacité à faire le même travail jusqu’à leur retraite ».

Plus d’un tiers des salariés (37 % en 2019 : un peu moins de 9 millions de personnes) déclarent ne pas être capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite, dans un contexte de vieillissement de la population active et d’augmentation des maux d’origine professionnelle (troubles musculosquelettiques ou psychosociaux, insécurité socioéconomique, etc…) :

  • L’insoutenabilité du travail décroît fortement avec l’âge : 59 % des moins de 30 ans ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite contre 18 % des 50 ans et plus. Ce constat n’est paradoxal qu’en apparence.
  • Certains travailleurs quittent les postes les plus exposés au fil du temps pour question de santé ou quittent leur emploi. Les plus âgés peuvent parfois bénéficier d’aménagements de postes ou de leur temps de travail.
  • L’insoutenabilité est un peu plus fréquente chez les femmes que chez les hommes (41 % contre 34 %). Elle varie en fonction de la configuration familiale (plus faible en l’absence d’enfant : 33 %). Au contraire, 57 % des femmes ayant des enfants en bas âge ne se sentent pas en capacité de tenir dans leur travail, contre 43 % des hommes dans la même situation. Mais peu de différences dans les familles monoparentales (42 % pour les femmes, 41 % pour les hommes).
  • L’insoutenabilité est un peu moins marquée chez les cadres (32 %) que chez les professions intermédiaires (38 %), employés et ouvriers (39 %) mais toutes les catégories professionnelles sont concernées.

Certaines professions sont jugées insoutenables par la majorité des salariés : il s’agit des métiers requérant l’accueil du public (caissiers, employés de la banque, des assurances et de l’hôtellerie-restauration), ceux du soin et de l’action sociale (infirmières et aides-soignantes), ainsi que certains métiers non qualifiés.

  • Leur travail comprend des risques physiques plus marqués que la moyenne (rester longtemps debout, porter des charges lourdes), des nuisances dans l’environnement de travail (bruit, chaleur, humidité, fumées, poussières…). 46 % des salariés qui y sont fortement exposés ont ce sentiment, contre 27 % de ceux faiblement exposés.
  • Les contraintes psychosociales (travail intense, manque d’autonomie, exigences émotionnelles, insécurité socio-économique, conflits de valeur, rapport sociaux dégradés) entrainent une incapacité des salariés à tenir dans leur travail : 58 % pour les salariés les plus fortement exposés à ces nuisances.
  • Les salariés très fortement exposés à la fois à des risques physiques et à des risques psychosociaux sont 61 % à déclarer ne pas être capables de tenir jusqu’à la retraite, contre 20 % de ceux très faiblement exposés.
  • Plus de deux tiers des salariés qui jugent leur état de santé très mauvais déclarent qu’ils ne sont pas capables de tenir jusqu’à la retraite.

Les interruptions de travail longues sont plus fréquentes chez les salariés qui ont le sentiment de ne pas pouvoir tenir jusqu’à la retraite : 9 % connaissent une interruption de travail d’un an ou plus dans les 3 années qui suivent, contre 5 % pour les autres salariés.

  • Les raisons sont multiples : période de chômage, arrêt maladie de longue durée, arrêt pour s’occuper des enfants, reprise d’études, etc…
  • Entre 20 et 54 ans, les interruptions de travail d’un an et plus sont en moyenne de 3 à 4 points supérieures pour les salariés qui déclarent un travail insoutenable.
  • À partir de 55 ans, l’écart des interruptions de travail d’un an et plus s’accroît de façon progressive : 7 points entre 55 et 59 ans, 12 points entre 60 et 64 ans.
  • Avec l’avancée en âge, la différence des interruptions de travail d’un an et plus, entre les salariés au travail jugé soutenable et les autres s’accroît : en moyenne de 11 jours pour les 50-54 ans (8 et 12 jours), de 57 jours pour les 60-64 ans (8 et 65 jours).
  • Les situations d’insoutenabilité du travail perdurent dans le temps.

Lorsque l’autonomie et le soutien social s’accroissent, le sentiment d’insoutenabilité du travail diminue : de 3 points lorsque les contraintes horaires au travail (travail de nuit, le week-end, le travail posté, en horaires variables…) ou les contraintes de rythme (devoir se dépêcher, travailler sous pression…) sont moindres que 3 ans plus tôt. En moyenne, une diminution de l’intensité au travail conduit à une baisse de 8 points de la proportion de salariés dans une situation d’insoutenabilité à 3 ans d’intervalle.

La hausse de l’autonomie et de soutien social donnée aux travailleurs permet à une plus grande proportion de salariés de ne plus se trouver en situation d’insoutenabilité (-12 points) : une plus grande marge de manœuvre laissée aux salariés (choisir la façon de régler les objectifs, de régler les incidents…), un soutien social plus fort (recevoir de l’aide de son supérieur, de ses collègues, présence d’instances du personnel…).

Les changements organisationnels sont préjudiciables à l’insoutenabilité du travail, sauf si les salariés participent aux décisions des changements : en moyenne, la proportion de salariés qui continuent de juger, comme 3 ans auparavant, leur travail insoutenable est plus élevée lorsque de tels changements interviennent :

  • Connaître une modification de l’environnement de travail sans information ni consultation préalable accroît la probabilité de continuer de juger son travail insoutenable (+12 points).
  • Toutefois, lorsque le salarié est informé puis consulté sur la mise en œuvre du changement l’effet est réduit de 6 points et 4 points respectivement.
  • L’effet s’inverse aussi quand le salarié juge avoir eu de l’influence sur la mise en œuvre du changement. La probabilité de sortir de l’insoutenabilité augmente de 6 points.

Les dispositifs de prévention mis en place dans les établissements améliorent peu le caractère soutenable du travail : cela ne réduit que de 3 points la probabilité qu’un salarié déclare toujours considérer son travail insoutenable 3 ans après.

Les salariés considérant leur emploi insoutenable partent à la retraite plus tôt, sans avoir atteint l’âge légal (19 % contre 12 %) dans des conditions financières plus défavorables, bien avant de pouvoir prétendre à une retraite à taux plein (30 % contre 16 %). Parmi eux, ils sont 62 % à citer la santé comme motif de départ et 45 % les conditions de travail, contre respectivement 45 % et 39 % des salariés partis avant l’âge légal mais ayant occupé un travail jugé soutenable. Des éléments qui montrent bien l’impact de la qualité et des conditions de travail sur la capacité à le tenir à long terme, la nécessité de renouveler les organisations du travail et qui auraient dû être pris en compte en amont de la réforme des retraites.


Références