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Rapport Notat−Senard : modifier la définition de l’entreprise pour la réformer

mercredi 28 mars 2018

Nicole Notat (présidente de l’agence de notation extra-financière VIGEO-EIRIS et ex Secrétaire générale de la CFDT) et Jean-Dominique Senard (PDG de Michelin) viennent de remettre le rapport sur la mission « Entreprise et intérêt général » qui leur avait été confiée en janvier 2018 par le gouvernement. Ce rapport remis le 9 mars aux ministres de l’Économie, de la Transition écologique et solidaire, de la Justice, et du Travail propose 14 propositions susceptibles d’impulser une véritable dynamique de transformation des entreprises. Et en particulier, en ajoutant un second alinéa à l’article 1833 du Code civil : « [...] La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». C’est lors du débat de la loi PACTE que le gouvernement montrera s’il intègre ou pas les grands éléments du rapport [1] .

Ce qui soutiennent les 14 propositions de changement

Dans leur introduction Nicole Notat et Jean-Dominique Senard mettent en avant un constat, une conviction, une démarche structurante et …un avertissement.

Le constat

Les auditions ont confirmé le besoin d’une réflexion sur l’entreprise, dans un contexte de financiarisation de l’économie et de court-termisme de certains investisseurs. Le détenteur provisoire de capital n’a plus grand-chose à voir avec la figure de l’associé, visé par le Code civil de 1804.

Une conviction

Si le rôle premier de l’entreprise n’est pas la poursuite de l’intérêt général, on constate des attentes croissantes à son égard, avec l’essor des défis environnementaux et sociaux. Le concept de « parties prenantes » – c’est-à-dire les personnes et les groupes qui subissent un risque du fait de l’activité de l’entreprise – est fréquemment évoqué.

Une démarche structurante

Cette démarche vise à susciter une prise de conscience dans l’entreprise des impacts de son activité en incorporant ces considérations dans sa stratégie. Le rapport souligne que l’on ne part pas de rien car un certain nombre d’entreprises considèrent déjà leurs enjeux sociaux et environnementaux et la France compte en Europe et au niveau mondial parmi les pays pionniers de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE).

… Et un avertissement

L’image de l’entreprise est aujourd’hui dépréciée. Elle est vue comme faisant partie des problèmes sociaux et environnementaux posés à nos contemporains. Les auteurs invoquent pour ce faire la lecture de la presse et la consultation de sondages. La RSE reste ainsi parfois considérée comme un affichage, un supplément d’âme, ou un exercice formel de conformité à une grille de questions.
Ils concluent que le droit des sociétés est perçu comme décalé avec la réalité des entreprises et les attentes des citoyens et des salariés. Ce droit date de 1804. Ils proposent que la définition de la société dans le Code civil et son objet social soit modifiés pour donner à l’entreprise une substance non réductible au profit.

Pour les auteurs, l’entreprise et son droit, constituent une partie de la solution, celle d’une économie responsable, parvenant à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux.
Les 14 recommandations sont pour certaines d’ordre législatif, d’autres d’ordre réglementaire et d’autres enfin relèvent de la simple responsabilité des entreprises.

Les 14 recommandations

1. Ajouter un alinéa à l’article 1833 du Code civil, qui officialise la considération des entreprises pour leurs enjeux - risques et opportunités – sociaux et environnementaux.

2. Confier aux conseils d’administration la formulation d’une raison d’être visant à éclairer l’intérêt propre de la société et de l’entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux.

3. Accompagner le développement de labels RSE sectoriels et faire de la RSE un outil de renforcement du dialogue social dans les branches professionnelles volontaires.

4. Les grandes entreprises devraient être incitées à se doter de comités de parties prenantes, par exemple en inscrivant cette bonne pratique dans les codes de gouvernance. L’existence au sein du conseil d’administration d’un comité qui l’éclaire sur la stratégie RSE de l’entreprise est aussi une pratique à généraliser. Ces bonnes pratiques pourraient par exemple figurer dans les codes de gouvernance.

5. Signaler comme une bonne pratique les rémunérations variables liées aux critères RSE et la transparence sur le niveau de déclenchement de cette part variable.

6. Renforcer le nombre des administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance de plus de 1 000 salariés à partir de 2019, à deux salariés à partir de 8 administrateurs non-salariés et trois salariés à partir de 13 administrateurs non-salariés.

7. Faire le point sur la représentation des salariés dans les conseils par une mission tirant les enseignements de 12 ou 24 mois de pratique, avant d’envisager de l’étendre aux sociétés de 500 à 1 000 salariés, ou d’augmenter la proportion des administrateurs salariés aux conseils.

8. Ajouter un article au Code de commerce pour doter les sociétés par actions simplifiées (SAS) de plus de 5 000 salariés d’un conseil d’administration ou de surveillance régis par les dispositions applicables aux sociétés anonymes, afin qu’ils disposent des mêmes proportions d’administrateurs salariés.

9. Engager une étude sur la place et le rôle de l’actionnaire dans la continuité de la réflexion enclenchée sur l’entreprise.

10. Engager une étude concertée sur les conditions auxquelles les normes comptables doivent répondre pour servir l’intérêt général et la considération des enjeux sociaux et environnementaux.

11. Confirmer à l’article 1835 du Code civil la possibilité de faire figurer une « raison d’être » dans les statuts d’une société, quelle que soit sa forme juridique, notamment pour permettre les entreprises à mission.

12. Reconnaître dans la loi l’entreprise à mission, accessible à toutes les formes juridiques.

13. Envisager la création d’un acteur européen de labellisation, adapté aux spécificités du continent européen, pour les entreprises à mission européennes.

14. Assouplir la détention de parts sociales majoritaires par les fondations, sans en dénaturer l’esprit, et envisager la création de fonds de transmission et de pérennisation des entreprises.

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Les analyses et réactions

Réformer l’entreprise raisonnablement, c’est ainsi que Jacques Igalens, professeur à l’Université de Toulouse définit le rapport. Pour lui, il donne les outils nécessaires pour rénover les fondations et, en premier lieu, en touchant au cœur du réacteur, les articles 1832 et 1833 du Code Civil. Jacques Igalens, comme d’autres, apprécie la clarté de la définition proposée. Car écrit-il, « ce point est important, le droit est à la fois contraignant et habilitant et cet ajout inscrit la société dans ses environnements ».

Son analyse met aussi en avant les nouveaux enjeux et les nouveaux hérauts. En effet, la proposition 4 reconnaît l’importance des « parties prenantes » comme porteurs de ces causes nouvelles et les entreprises « devraient être incitées à se doter de comités de parties prenantes ». Cette proposition relève pour lui de ce qu’il est convenu d’appeler « les bonnes pratiques ». En d’autres termes, les auteurs du rapport ne proposent pas de rendre obligatoire ce comité. « On peut le regretter, car il s’agit véritablement d’un excellent dispositif que nombre d’entreprises ont déjà expérimenté et qui leur donne entière satisfaction ».

Enfin, il souligne des mesures qui font bloc. « Un cadrage juridique qui fait sens, une reconnaissance des parties prenantes et une localisation de leur influence à un niveau réaliste, une incitation à récompenser les performances RSE et la mise en place d’un outil de gestion qui autorise tout cela : il y a là effet de système. Ces quatre mesures font bloc, et c’est pour cela que j’espère que toutes les entreprises les adopteront. La synergie dégagée serait de nature à entamer une véritable transformation des entreprises ».

Le patronat n’est pas unanime

Si Antoine Frérot, le patron de Veolia, invite à « dépasser la vieille opposition entre le capital et le travail », et que le Medef lui-même reconnaît que les auteurs du rapport ont adopté une « approche prudente », et qu’il ouvre des pistes de réflexion intéressantes sur le rôle des actionnaires notamment, son communiqué mentionne néanmoins quelques craintes :

« Les auteurs ont toutefois tenu à inscrire ces principes dans le Code civil, on peut regretter ce choix contraignant qui s’applique indifféremment à toutes les entreprises, y compris aux PME. Par ailleurs, introduire une notion nouvelle comme celle de « raison d’être », dans le Code de commerce, va nécessiter plusieurs années avant que sa portée puisse être appréhendée complètement, mais les entreprises sauront faire face à ce nouveau défi. »

Concernant la proposition sur le nombre des administrateurs salariés, la mesure a d’ores et déjà suscité une opposition du côté des organisations patronales, certains estimant que la loi Rebsamen et le code Afep-Medef sont suffisants et qu’ils doivent faire l’objet d’une évaluation avant tout changement.

Les réactions des organisations syndicales

Si la CGT a considéré que le texte était dérisoire, et ne changerait rien, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC ont, elles, salué les avancées du rapport Notat-Senard et, en particulier pour la CFDT, « la réécriture sécurisée de l’article 1833 du code civil qui demande aux entreprises de tenir compte de leur impact social et environnemental ». Cependant sur le nombre de salariés dans les conseils d’administration, elles considèrent que ce n’est pas suffisant, d’autant que la France est le pays européen où les salariés sont les moins nombreux dans les conseils. Ces organisations avaient milité pour une codétermination à la française avec au moins un tiers de salariés.

Un appel collectif de soutien aux conclusions du rapport Notat-Senard

Un nombre important d’associations, de fondations, de think tank et de personnalités ont lancé un appel collectif de soutien aux conclusions du rapport sur l’entreprise et l’intérêt général. Car le rapport « définit le socle moderne d’une gouvernance de l’entreprise qui consacre enfin sa double mission, économique et sociétale ».

Parmi les premiers signataires on relève : Entreprise et Progrès, le Comité 21, le Forum pour l’Investissement Responsable, Terra Nova,la Fondation Jean Jaurès, le CJD, EDC (les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) …


Sources

  • Les Echos executives, lundi 19 mars 2018, supplément gratuit.

Notes :