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L’ascenseur social fonctionne encore

mercredi 22 juin 2022

Pour la première fois, l’INSEE étudie la « mobilité intergénérationnelle des revenus » en France, en reliant directement les revenus des parents à ceux de leurs enfants de 28 ans. L’étude en déduit que les enfants de familles aisées ont trois fois plus de chances d’être parmi les 20 % les plus aisés que ceux issus de familles modestes. Cependant en 2018, parmi les jeunes issus des familles des 20 % les plus modestes, 12 % sont parmi les 20% les plus aisés de leur classe d’âge, en dépit de certains critères qui freinent les chances de s’élever dans l’échelle des revenus (profession des parents, famille monoparentale, lieu de résidence).

Méthodologie de l’étude : les revenus individuels dans l’étude comprennent les revenus d’activité (salaires perçus et revenus d’indépendants), les allocations chômage et les pensions de retraite. Ils correspondent aux revenus nets imposables déclarés aux impôts.

  • Les déciles sont les valeurs qui partagent cette distribution en 10 parties égales.
  • La médiane appartient au 5ème décile et coupe la population en deux parties égales.
  • Un enfant effectue une mobilité ascendante quand il est classé parmi les 20 % du haut de la distribution des revenus individuels dans sa classe d’âge, alors que ses parents étaient classés parmi les 20 % les plus bas de leur distribution de revenus.
  • La mobilité descendante est mesurée de la même manière.
  • La mobilité est dite « élargie » quand on considère les 40 % du haut et du bas de la distribution et non plus les 20 %.

Les inégalités se reproduisent en partie d’une génération à l’autre : mieux les parents sont classés dans l’échelle des revenus, mieux le sont également leurs enfants par rapport aux jeunes adultes de leur génération. Il y a donc une persistance de revenu entre générations et les inégalités se reproduisent en partie :

  • Un enfant dont les parents sont classés tout en haut de la distribution est en moyenne classé entre 2 et 3 déciles plus haut qu’un enfant dont les parents sont situés en bas de la distribution.
  • La mobilité dans l’échelle des revenus serait donc plus élevée en France qu’aux États-Unis mais serait plus faible que dans les pays nordiques.

Les revenus des enfants à 28 ans ne dépendent pas seulement des revenus de leurs parents : à revenus des parents donnés, le revenu des jeunes adultes (à 28 ans) varie fortement et des différences sensibles existent entre les enfants les plus aisés et les enfants les plus modestes :

  • 5 déciles séparent les 25 % des enfants les plus aisés des 25 % des enfants les plus modestes.
  • Les nombreuses situations de mobilité ascendante et de mobilité descendante montrent que le niveau de revenus des parents ne détermine pas à lui seul le niveau de revenus des enfants, cela dépend de nombreux facteurs.
  • Parmi les enfants de parents défavorisés, un quart fait partie des 40 % aux revenus les plus élevés de leur génération.
  • Parmi les enfants des parents les plus aisés, un quart des enfants appartient aux 40 % des revenus les plus faibles.
  • En prenant une définition élargie de la mobilité ascendante, des 40 % les plus modestes aux 40 % les plus aisés, le taux de mobilité est de près de 30 %.

Une mobilité ascendante réelle mais un plafond collant : 72 % des enfants de 28 ans appartiennent à un cinquième de revenu différent de celui de leurs parents.

  • Parmi les enfants dont les parents sont les plus modestes, 31 % restent dans le premier cinquième (le plafond collant) et 12 % font une mobilité très ascendante vers le plus haut cinquième. Ce taux de mobilité ascendante est supérieur à celui observé aux États-Unis et supérieur à celui ressenti par les Français.
  • À l’inverse, 34 % des enfants des parents les plus aisés, appartenant au plus haut cinquième, sont eux aussi dans le plus haut cinquième (le plafond collant) et 15 % font une mobilité très descendante vers le plus bas cinquième. Ainsi les enfants des familles aisées ont trois fois plus de chances de faire partie des plus hauts revenus que ceux issus des familles modestes.

Grimper dans l’échelle des revenus par rapport à ses parents est plus aisé pour un homme ou quand on n’a pas vécu dans une famille monoparentale et que l’on n’est pas un enfant de famille nombreuse : 15 % des fils de 26 à 29 ans issus du plus bas cinquième des revenus sont dans le plus haut cinquième contre 8 % des filles, tandis que 34 % des filles restent dans le plus bas cinquième, contre 27 % des fils.

  • Les femmes ont près de deux fois moins de chances de réaliser une mobilité ascendante que les hommes et 1,5 fois moins en considérant la mobilité ascendante élargie.
  • Les enfants de famille monoparentale ont une probabilité ascendante élargie plus faible que les enfants de couple de 1 ou 2 enfants et un risque plus fort de mobilité descendante.

Des revenus du patrimoine élevés des parents favorisent la mobilité ascendante : la mobilité ascendante est beaucoup plus importante (24 %) dans les 10 % des familles dont les revenus du patrimoine (revenus qui ne sont pas comptabilisés dans le revenu individuel utilisé dans la publication) sont les plus élevés que dans les 50 % des familles dont les revenus du patrimoine sont les plus faibles (10 %). De même les enfants dont les parents sont propriétaires de leur logement ont plus de chances de faire une mobilité ascendante (15 % contre 8 % pour les locataires du secteur social).

La mobilité ascendante ou descendante dépend du lieu d’habitation : 21 % pour l’Île-de-France, 7 % pour les Hauts-de-France et 8 % pour la Normandie. Des différences existent selon la densité ou le type de commune. La mobilité descendante est plus fréquente en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie.

Des mobilités très contrastées pour les enfants d’immigrés : ils ont tendance à avoir une mobilité ascendante plus forte (15 % contre 10 % pour les autres). Ils résident souvent dans les grandes villes les plus dynamiques mais ils ont aussi une probabilité plus forte de rester dans le plus bas cinquième des revenus (33 % contre 27 %) et d’effectuer une mobilité descendante (24 % contre 17 %).

  • Les enfants dont le parent au plus haut revenu est né en Asie ont la plus forte probabilité de mobilité ascendante (16 %).
  • Le rang espéré des enfants issus des familles modestes est différent selon le continent d’origine : 49 pour l’Amérique et l’Europe, 47 pour l’Asie, 43 pour l’Afrique du Nord et 39 pour l’Afrique subsaharienne.

Le niveau de diplôme des parents influe davantage sur la mobilité ascendante que leur catégorie socioprofessionnelle : soit une mobilité ascendante de 17 % pour les enfants dont les parents sont diplômés de l’enseignement supérieur et titulaires du baccalauréat contre 11 % pour ceux de parents titulaires inférieurs au baccalauréat. Cette mobilité est encore plus importante pour les enfants d’immigrés diplômés (20 % contre 9 % pour les immigrés non diplômés).

Plus les pays sont développés, « plus la mobilité sociale en valeur absolue tend à ralentir » explique l’OCDE. Ce « blocage » n’est pas l’arrêt complet de l’ascenseur social. La France fait partie des pays dans lequel la mobilité ascendante est à peu près équivalente à la mobilité descendante. La transformation des emplois, plus d’emplois de cadres, moins d’emplois d’ouvriers mais aussi plus d’emplois d’exécution, d’employés, de services à la personne, est à prendre en compte. Pour Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités « cette étude montre que l’ascenseur social à la française est efficace et que prétendre le contraire en ne pointant que ses défaillances, car il y en a, donne des arguments à ceux qui veulent le défaire ».


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