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Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique

samedi 26 novembre 2016

Une situation française où « le vivre ensemble est fragilisé, fracturé, attaqué » et où « les notions traditionnelles et fondamentales de Nation, Patrie, République sont bousculées » : c’est ainsi que le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France a publié, le 14 octobre 2016, un texte intitulé : « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique ». Une longue réflexion qui fait suite à l’appel au discernement, publié le 20 juin 2016, en vue des élections de 2017. Le document du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France analyse cette situation critique du pays et appelle à redonner du sens à la politique et à « repenser le contrat social ». Ce texte a été salué par le Conseil théologique des musulmans.

1. Retrouver le politique au sens de l’organisation de la chose publique (Res Publica) pour construire le passage d’une parole
Dans nos pays démocratiques, ce pouvoir vient de l’élection par les citoyens. Mais ce qui doit fonder cet exercice c’est le politique, la recherche du bien commun et de l’intérêt général qui doit trouver son fondement dans un véritable débat sur des valeurs et des orientations partagées. Aujourd’hui, la parole a trop souvent été pervertie utilisée, disqualifiée. Beaucoup veulent la reprendre, au risque de la violence, parce qu’ils ont l’impression qu’elle leur a échappé, et que ceux, censés les représenter, l’ont confisquée.

2. Une société en tension
Dans cette société en tension, réseaux sociaux et médias, surtout audiovisuels, occupent une place importante. Ces derniers ont un pouvoir d’influence dans leur manière de présenter les choses, et une responsabilité dans la qualité du débat public quand ils préfèrent slogans, petites phrases à l’analyse sérieuse et au débat respectueux. Il en va de même des réseaux sociaux. Informations et opinions circulent vite. Et l’on peut trouver le meilleur comme le pire sur le Net. Chacun doit être responsable de ce que sa parole produit. Ces réseaux peuvent être un outil formidable au service du débat ou un instrument de division et d’opposition. Les progrès technologiques immenses de ces dernières décennies ont des incidences très fortes sur notre manière de faire société.

3. Ambivalences et paradoxes
Le contrat social, le contrat républicain permettant de vivre ensemble sur le sol du territoire national ne semble plus aller de soi. Pourquoi ? Parce que les promesses du contrat ne sont plus tenues. Il a besoin d’être renoué, retissé, réaffirmé. Il a besoin d’être redéfini.

4. Un contrat social à repenser
Dans une société où l’individu et non le collectif est devenu la référence, il y a un sentiment de déception vis-à-vis de l’État providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes. Les Français redoutent un déclassement dans leur niveau de vie. Le travail n’est plus aussi protecteur. Les systèmes d’assurance, de sécurité sociale, d’indemnisation montrent leurs limites. Les repères simples de la vie en société sont chahutés. C’est la disparition dans les villages des services de proximité : épicerie, bureau de poste, médecin, curé… Les jeunes ont des difficultés à accéder au marché du travail et les personnes d’origine étrangère n’arrivent pas à trouver leur place. Dans toutes ces situations, les valeurs républicaines de « liberté, égalité, fraternité », souvent brandies de manière incantatoire, semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains.

5. Différence culturelle et intégration
Parmi les difficultés d’établir un nouveau contrat social, il y a celle que pose aujourd’hui la différence culturelle. Il convient pour l’avenir de notre société de redéfinir ce que c’est d’être citoyen français, et de promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens. En d’autres termes, comment gérer la diversité dans notre société ? Comment l’identité nationale peut-elle perdurer avec des revendications d’appartenances plurielles et des identités particulières ? Pour un tel enjeu qui nécessite un large débat, toutes les composantes de la société doivent pouvoir apporter leur contribution.

6. L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées
Beaucoup de nos concitoyens, confusément ou non, s’interrogent sur leur identité. De quoi se nourrit une identité nationale ? Mais aussi quel sens y a-t-il à vivre ensemble, quelle reconnaissance, quelle utilité sociale ? Ce sont des questions importantes parce que nous savons que l’identité donne des racines, inscrites dans une histoire, et en même temps permet d’accéder à un groupe. Il est très important que notre société s’empare de ces questions, à la fois pour percevoir ce qui a construit et forgé notre pays, mais aussi pour prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui apporter en faisant émerger les liens d’unité au cœur même de cette diversité. Il ne faudrait pas que les recherches et les affirmations d’identités débouchent sur des enfermements identitaires. Plus que d’armure, c’est de charpente que nos contemporains ont besoin pour vivre dans le monde d’aujourd’hui.
Il convient de se demander pourquoi l’intégration n’a pu s’opérer, et comment notre société a laissé une partie de sa jeunesse se perdre dans de aventures mortifères et meurtrières. Il est nécessaire de s’interroger sur la crise que traverse depuis plusieurs décennies notre système éducatif. La famille, en tant que premier lieu d’éducation, a vocation à ne pas enfermer l’enfant et à lui donner les premiers éléments de son entrée dans une communauté humaine toujours plus vaste que son milieu d’origine. Mais, grâce à l’école, la tâche éducative va plus loin : au-delà de la nécessaire transmission des savoirs et de la non moins nécessaire acquisition de compétences, elle doit ouvrir les jeunes à l’universel par la culture, seule en mesure de rendre possible le dialogue entre les cultures.

7. La question du sens
Notre société française connaît une grave crise de sens. Or le politique ne peut échapper à cette question du sens, et doit se situer à ce niveau. Non pas, évidemment, pour dire à chacun ce qu’il faut penser et croire, mais pour se situer sur un horizon de sens, pour veiller aux conditions d’une négociation, toujours à refaire, de ce qui fait tenir ensemble un pays, et permettre que nul ne soit écarté, rejeté de ce débat-là pour une raison ou pour une autre. La politique s’est faite gestionnaire, davantage pourvoyeuse et protectrice de droits individuels et personnels de plus en plus étendus que de projets collectifs. Discours gestionnaires qui ont accompagné le progrès, la croissance, le développement de notre pays, mais sans se préoccuper du pour quoi.

8. Une crise de la parole
Tout ce qui pervertit la parole, le mensonge, la corruption, les promesses non tenues ont des conséquences très lourdes. Et nous en sommes là aujourd’hui avec les batailles de mots des débats politiques. Entre le « ras-le-bol » de ceux qui n’y croient plus et se désintéressent de la vie publique et ceux qui, pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers les extrêmes, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite pour relégitimer la parole publique. Aujourd’hui le débat autour du « mariage pour tous » ainsi que toutes les questions éthiques sur le début ou la fin de la vie, l’ont bien montré. Il n’y a plus, ou de moins en moins, de vision anthropologique commune dans notre société. Tout semble discutable et à discuter. Toutes les positions veulent se voir écoutées, respectées, comme légitimes, à égalité.

9. Pour une juste compréhension de la laïcité
La laïcité dans notre pays est au cœur d’un débat, car chacun met des conceptions différentes derrière cette notion. Au sens strict et originel du terme, la laïcité signifie la séparation de l’institution religieuse et de l’institution politique. L’Église ne commande pas à l’État, l’État ne commande pas à l’Église.
Et l’école publique, ouverte à tous, est indépendante de toute influence religieuse. Si la laïcité a effectivement réglé un certain nombre de problèmes dans le passé, il convient de voir comment elle peut être utile aujourd’hui pour résoudre nos problèmes contemporains.

10. Un pays en attente, riche de tant de possibles
Les nouvelles questions d’aujourd’hui nous obligent à réfléchir et agir. Elles peuvent se révéler une chance pour nous dire quelle société nous voulons. Sur tous ces sujets, il nous faut, à tous les niveaux, que nous reprenions le temps de la parole et de l’écoute pour éviter que le dernier mot ne reste à la violence.
Allons-nous encore laisser passer les années sans nous situer à hauteur des enjeux de responsabilité et de sens que la vie en commun nécessite ? Sommes-nous prêts à regarder les choses en face et à en tirer toutes les conséquences pour nos conduites personnelles et collectives ? Chacun, à son niveau, est responsable de la vie et de l’avenir de notre société. Cela demandera toujours courage et audace. Des qualités qui n’ont jamais déserté le cœur de notre pays, pensent les évêques de France.

Dans une période où nous sentons que tout peut basculer, il est important que des voix diverses s’expriment pour redonner du sens et de l’espoir à notre société. Au moment où le politique peine à apporter des réponses, la société civile au sens large doit pouvoir s’exprimer et tenter d’éclairer les débats.


Références