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Citoyenneté et Démocratie

samedi 1er août 2020

Avant même que ne survienne la crise du Covid-19, entraînant de graves conséquences économiques et sociales, il était d’évidence nécessaire de s’interroger collectivement sur une refondation de la démocratie, en donnant corps à l’avènement de la démocratie participative. Celle-ci se définit comme « une forme de partage et d’exercice du pouvoir, fondée sur le renforcement de la participation des citoyens à la prise de décision politique ».

Il y a un urgent besoin de régénérer le sens collectif par une démocratie participative plus efficiente. Les formes d’engagement ont évolué, poussées par l’importance prise par internet et l’inclusion numérique. Diverses causes sont évoquées par les citoyens : absence de projet de société commun, limite d’une autonomisation efficace des individus par manque d’une éducation systématique, contre-pouvoir médiatique insuffisant, et surtout une défiance générale envers le système politique en charge de l’action publique (élus et professionnels – collaborateurs, cabinets…).

Que de temps perdu ! En effet, dans un essai intitulé « La contre-démocratie » publié en 2006, et écrit au lendemain du référendum en 2005 sur l‘Union européenne, Pierre Ronsanvallon portait déjà un jugement lucide sur la réalité politique des procédures institutionnelles qui, loin de s’appuyer sur une confiance entre gouvernants et gouvernés, laissaient se développer une défiance active. Le constat établissait que des « mobilisations négatives » entachaient la vie publique et risquaient à terme de la paralyser.

La crise des « gilets Jaunes » a amplement montré qu’un fossé continuait de se creuser entre les citoyens et l’État, touchant également les pouvoirs régionaux et locaux ainsi que les corps intermédiaires. Il convenait dès lors de revoir en profondeur les causes de nombreux dysfonctionnements ou défaillances engendrant inévitablement déception et défiance des citoyens, dans leurs territoires, et baisse continue du taux de participation aux élections.

La confiance des citoyens indispensable à leur consentement

Dans de nombreux articles consacrés aux modalités des confinement et déconfinement ou notamment dans une note publiée le 22 avril dernier par le think tank Terra Nova (dont l’auteur est Sébastien Roché, directeur de recherche au Cnrs) est défendue l’idée que le « …Consentement au confinement mais aussi aux règles de déconfinement est la condition d’une sortie de crise… » .

Le consentement est en effet indispensable à l’efficacité de la mise en œuvre de décisions gouvernementales, adoptées par le Parlement, ainsi qu’à leur efficience. Ce constat reste vrai en toutes circonstances lorsque l’État et son administration s’engagent dans une démarche où les règles fixées par la loi doivent s’appliquer, même si leur cadre est censé avoir été établi en concertation avec les représentants de différentes composantes de la démocratie, qu’ils soient politiques, corps intermédiaires ou issus de la société civile.

L’absence de consentement des citoyens, face à des décisions les touchant directement, résulte d’un manque de confiance en l’organisation des institutions, jugée trop centralisée et ne laissant pas la place à une réelle décentralisation. Les citoyens réagissent comme si telle ou telle décision ne leur appartenait pas et s’installe alors une sorte de « rapport de force » dangereux pour un bon fonctionnement de la démocratie puisque c’est en termes de contraintes qualifiées d’autoritaires, voire de menaces de sanction, que s’articulent les rapports entre le (les) pouvoir(s) et les citoyens.

Même si cette perte de confiance citoyenne ne reflète pas obligatoirement une opposition frontale à un (ou des) objectif(s) reconnu(s), objectivement, comme nécessaires à améliorer ou corriger des fonctionnements existants, l’action des gouvernants n’est pas reconnue légitime. Ainsi, l’absence d’adhésion des citoyens se traduit par de sévères critiques ou défiances, largement véhiculées par les réseaux sociaux. Ces aspirations à désobéir peuvent, au passage, s’avérer justifiées si elles trouvent leur origine dans des injonctions du pouvoir incohérentes ou en contradiction avec ce que vivent les citoyens au quotidien.

C’est préoccupant pour la démocratie, voire dangereux comme on a pu le voir dans les circonstances du Covid-19.Comment ne pas s’inquiéter des mauvais chiffres sur la confiance tels que l’indiquent les sondages, comme celui publié le 10 mai dernier par Odoxa « sur les Français et les Européens face à la crise du Covid-19 » ? Ce sondage a en effet révélé que 66% des sondés étaient convaincus que le gouvernement n’a pas été à la hauteur de la situation, qu’il ne leur a pas dit la vérité (à 75%), ou que les bonnes décisions n’ont pas été prises au bon moment (à 74%)…

Combattre l’abstention aux élections et le sentiment d’impuissance politique

Quelles leçons pouvons-nous tirer de la situation créée à l’occasion de la crise sanitaire Codiv-19 ou du fort taux d’abstention aux récentes élections municipales ? Comment concilier la conduite des services publics et le développement d’un territoire en optimisant les contrats entre acteurs publics et privés au plus près du niveau local ? Incombe-t-il essentiellement à la politique nationale conduite par l’État souverain, souvent fortement orientée par l’institution européenne, de fixer l’objectif d’une ambition de co-construction d’un projet au bénéfice de tous les habitants sur un territoire, pour un « vivre ensemble » ?

Il convient que les divers décideurs, à tous les échelons du pays et en concertation, avancent démocratiquement vers une profonde réforme des institutions, et s’affranchissent de trop lourdes contraintes bureaucratiques. Ils doivent focaliser leur réflexion et leurs actions, par exemple, autour de l’innovation dans une dynamique vertueuse de transition environnementale.

Tous les leviers doivent être activés, pour réformer et répondre aux défis posés par l’aménagement et l’égalité des territoires ou promouvoir la capacité d’agir ensemble. L’évolution des comportements et une meilleure compréhension des autres doivent être facilitées et la concertation doit naître d’un conflit ou insuffisance de dialogue ainsi que dans la volonté de construire ce que l’on ne peut faire seul, dans une logique de coopération.

L’obligation de concertation doit engendrer, dans une situation de crise, un dépassement des frontières ou représentations psychologiques entre acteurs ou groupes sociaux de divers échelons. Une réforme des méthodes de l’État centralisé et de l’organisation induite de ses agents doit effacer la fâcheuse impression (et la réalité le plus souvent) de ne pas utiliser les instruments contractuels existants.

On voit bien que la mise en œuvre des décisions et leur traduction dans les territoires ne peuvent se concevoir qu’en étant partagées par les citoyens. Ce constat est incontournable et il appartient à la classe politique dans son ensemble, au Président de la République en premier lieu, de formuler des propositions donnant à tous les élus une capacité d’agir au sein de leur territoire.

François Bayrou déclarait sur France Inter le 17 mai que les collectivités locales détenaient déjà des pouvoirs mais se trouvaient dans l’impossibilité de des exercer. S’il s’avérait qu’une large majorité d’élus, de toutes sensibilités politiques, partage ce constat, la réforme (ou exactement les réformes) ne consisterait-elle pas tout d’abord à compléter ou corriger les lois et décrets existants afin de rendre leur application effective ? Dans ses premières déclarations le nouveau Premier ministre a affirmé vouloir aussi aller dans ce sens. On peut relever que la crise du Covid-19 a montré que la mise en place de solidarités actives au sein de territoires s’était imposée le plus souvent.

Les débats à venir, en renouvelant la réflexion sur le maintien ou l’amélioration d’un service public de qualité dont nous avons besoin au 21ème siècle, doivent être abordés dans un esprit visant à diminuer les tensions entre tous les échelons de l’État centralisateur et les collectivités territoriales décentralisées.

Il est important de relever que les options politiques de « partage » du pouvoir entre État central et entités territoriales prennent nécessairement leur source sur des choix budgétaires, y compris au sein de la Communauté européenne, particulièrement dans la zone euro, incluant également des contraintes (ou opportunités) créées par la mondialisation. Ainsi, il faut tenir compte que les parties prenantes au développement de territoires sont diverses et de plus en plus nombreuses (institutions européennes, organismes et alliances au niveau mondial ou entreprises privées…).

Quelle place pour la démocratie participative dans le « Monde d’après » ?

La démocratie est pensée uniquement dans son incarnation institutionnelle représentative alors que, dans une démocratie ouverte, personne ne détient le monopole de l’intérêt général. Nous savons depuis un certain temps que la démocratie représentative nécessite une profonde refonte, sur les modes de scrutin (part de proportionnalité) et sur la transformation des partis politiques et leur renouvellement générationnel. L’indispensable débat démocratique sur les institutions n’a jusqu’alors pas eu lieu, la réflexion politique sur les propositions déjà formulées ayant été reculée. Il est temps d’ouvrir la concertation entre acteurs concernés. De nouvelles formes de mobilisations ont pour objectif d’imposer une modification de la constitution.

Il s’agit de susciter, comme dans certains pays (le Canada par exemple), des démarches participatives prônant une large consultation comme mode de gouvernance ou bien consolider l’exercice de pouvoirs décentralisés (au niveau des régions - voire l’exemple des Lander allemands -, des départements, ou communes…).

Les initiatives de structures prônant des idées sur le « Monde d’après » foisonnent et il n’est pas possible d’en décliner ici le fondement ou l’état d’avancement. Elles ont généralement la particularité d’être issues d’une alliance entre des partis politiques, ou personnalités proches de ces partis, et des organisations représentant les corps intermédiaires ou la société civile.

À partir d’une demande de démocratie participative formulée par le mouvement des gilets jaunes et répondant au besoin de régénérer la démocratie représentative et de faire aboutir la réflexion sur une réelle décentralisation des pouvoirs vers les élus de proximité, un Grand débat national avait été organisé. Cette nouvelle forme de consultation, dans laquelle le Président de la République s’est directement engagé, a réuni des élus de territoires et des citoyens et avait pour objectif de formaliser la centralisation de Cahiers de doléances rédigés par un grand nombre de participants (démarche en ligne sur site dédié).

Par la suite, une Convention Citoyenne pour le Climat, expérimentation inédite de démocratie participative, a été mise en place au cours du second semestre 2019. Cet exercice de démocratie participative s’est construit autour de l’émergence d’une intelligence collective concrète produite par 150 personnes, tirées au sort et présentant des positions et intérêts personnels très divers.

À l’issue de quelques mois de travail et débats intenses au sein de cette Convention, 150 propositions ont été votées par les participants, souvent avec une forte majorité, montrant leur capacité à formuler un consensus démocratique qu’aucun débat public n’avait jusqu’alors permis à un tel niveau de cohérence d’ensemble. À l’issue de cette expérimentation, les participants à la collectivité citoyenne ont prouvé, avec maturité, que cette forme de démocratie participative, qualifiée par le Président de la République de démocratie délibérative, s’avérait être une avancée significative pour l’élaboration d’une participation citoyenne active au processus démocratique de l’exercice du pouvoir.

La Convention citoyenne s’est appuyée sur de nombreux experts que les participants ont écoutés et avec lesquels ils ont débattu. Ces 150 citoyens ont démontré leur capacité à devenir eux-mêmes « experts » et à acquérir au fil des questionnements et débats une maîtrise de la compréhension des savoirs nécessaires et de leurs enjeux.

Ces « experts citoyens », à la fois de leurs métiers et de leurs conditions de vie, ont confirmé le bien-fondé de la pratique des sciences participatives. Les experts auditionnés ont été interpellés afin que les participants s’approprient leur propre réflexion à des solutions concrètes, inversant les pratiques usuelles d’une « élite » considérée souvent comme trop éloignée de la réalité des situations réelles.

L’aboutissement des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat a par ailleurs posé le principe du rôle que pourrait jouer le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), dans le cadre d’une réforme institutionnelle. Il s’agirait de répondre au manque de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions politiques par une légitimation de l’action politique, en rendant plus contraignante la prise en compte des avis du CESE ou des instances citoyennes pilotées par cette institution (par exemple, diverses Conventions créées sur d’importantes thématiques de politique publique).

Les recommandations du CESE, qui seraient l’expression d’une large concertation citoyenne, feraient l’objet d’un débat public à l’Assemblée nationale et au Sénat, la consultation de ces recommandations devenant systématique lors de la rédaction de projets ou propositions de loi.