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Le très grand âge. Quelles prises en charge ? (Part 1)

mercredi 6 juin 2018

Les personnes âgées, mais surtout très âgées, sont de plus en plus nombreuses, d’où une augmentation du phénomène de dépendance. Face à cette évolution démographique, le système de soins peine à se réadapter : affaiblissement structurel de la médecine ambulatoire, progression des hospitalisations à répétition des personnes très âgées, inadaptation des EHPAD (maisons de retraite)… Quelles sont les évolutions souhaitables ? Le débat sur la prise en charge de la dépendance et l’opportunité de créer un « cinquième risque » (à savoir la couverture solidaire de la perte d’autonomie) vient d’être relancé par le chef de l’État. Terra Nova, dans une note, nous rappelle les enseignements oubliés du rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) : « Assurance maladie et perte d’autonomie » de 2011.

Ne pas mettre « la charrue avant les bœufs ». Avant de parler finances, il faut définir les formes collectives de solidarité les plus adaptées à la qualité de l’accueil et à la continuité des parcours de santé pour les besoins essentiels des personnes âgées en perte d’autonomie. La particularité de la dépendance du grand âge associe le soin médical et l’aide à l’autonomie, le « cure » et le « care ». Et mieux on accompagne les personnes âgées dans leur vie quotidienne, plus on évite des dépenses de soins, notamment hospitaliers. À l’inverse, moins on anticipe les besoins des personnes, plus on doit recourir à des prises en charge médicales et hospitalières mal calibrées et inutilement coûteuses.

La « perte d’autonomie » liée au grand âge se distingue de la perte d’autonomie du « handicap », non pas en ce qu’elle serait différente en nature, mais en ce qu’elle entretient un lien plus fort avec les problématiques de soins.

  • La perte d’autonomie est une question distincte de la santé. On peut être malade et rester autonome, ou être privé d’autonomie sans être malade. Autrement dit, il existe bien une thématique propre à un « cinquième risque ».
  • S’agissant des personnes âgées (au-delà de 75 ans ou 80 ans), les deux questions s’additionnent et sont même en étroite imbrication. La perte d’autonomie exacerbe les problèmes de santé, et réciproquement.

D’où la nécessité, dit le HCAAM, de penser la création d’un « cinquième risque » comme la composante nécessaire d’une meilleure prise en charge des « parcours » de santé et de soins.

Les mauvais parcours de santé et de soins sont très souvent liés à la mauvaise articulation de leur volet strictement « soignant » et de leur volet d’accompagnement de « l’autonomie ». Et ce, dans les deux sens :

  • soit lorsque l’aide à l’autonomie n’est pas suffisante pour prévenir une aggravation de l’état de santé (exemple classique du défaut d’équipement du domicile qui aggrave le risque de chute, ou de l’insuffisance d’aide à domicile qui provoque dénutrition ou déshydratation) ;
  • soit lorsque le soin ne se déploie pas suffisamment tôt pour limiter l’évolution de la perte d’autonomie (prise en charge kiné ou infirmier insuffisante) ou pas à temps pour éviter des hospitalisations dont la personne revient encore plus désorientée (absence d’infirmière la nuit en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui conduit à des hospitalisations inutiles) ;
  • soit, enfin, lorsque l’aide à l’autonomie et le soin ne se relaient pas à temps : exemple classique de l’impossible sortie d’hôpital, faute de dispositif d’accompagnement adapté à domicile, ou de l’hospitalisation forcée du conjoint.

L’étude du HCAAM, montre qu’il existe une corrélation entre le niveau de revenus et la dégradation de la perte d’autonomie. Pour le dire autrement, à 75 ans dans les zones les plus pauvres, on est plus dépendant en moyenne que dans les territoires les plus aisés. Et ce n’est pas qu’une question de densité de l’offre médico-sociale.

Pour les personnes âgées, la prise en charge des soins et la prise en charge de la perte d’autonomie doivent être pensées ensemble.

Des expérimentations locales montrent que la bonne prise en charge des personnes dépendantes ne signifie pas toujours une hausse des dépenses globales. Une meilleure prise en charge, par la solidarité nationale, de la perte d’autonomie des personnes âgées, peut, si elle est correctement dirigée, ne pas être exclusivement une dépense « en plus », mais plutôt une dépense « différente ». Car les soins techniques, et notamment les soins hospitaliers, sont aujourd’hui, pour le très grand âge, en partie une dépense indue, évitable, liée à la mauvaise qualité du parcours. Il faut donc, dans l’intérêt des personnes et dans l’intérêt d’un bon emploi des fonds publics, rediriger cette dépense vers ce qui permet d’améliorer le parcours de vie des personnes âgées.

Deux préconisations du HCAAM ont été testées positivement dans neuf sites pilotes. Les sorties d’hôpital (pour lesquelles il allait jusqu’à préconiser que les hôpitaux disposent de crédits leur permettant de mettre en place, au moins à titre temporaire, les aides nécessaires). Et la coordination de prévention autour du médecin traitant (avec l’élaboration d’un plan personnalisé de santé, PPS).

La prévention de la perte d’autonomie est un des axes majeurs de la loi Adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 qui prévoit un financement dédié dans le cadre de la Contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa). Ce financement dédié est réparti par le Comité national d’action sociale (CNAS) entre les départements pour des enveloppes pouvant aller jusqu’à 2 millions d’euros. Ce financement annuel vient compléter la dotation APA (allocation personnalisée d’autonomie). Elle est destinée à des actions coordonnées avec les autres financeurs que sont l’ARS (agence régionale de santé), les caisses de retraites, notamment. L’ensemble de ces acteurs sont réunis dans des conférences départementales des financeurs de la perte d’autonomie qui se réunissent 1 à 2 fois par an pour allouer les financements à des associations (principalement) intervenant au domicile ou parfois dans des EHPAD.

La prise en charge financière de cette dépendance est aujourd’hui insuffisante, malgré la création de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). La dépense actuelle de 6 milliards d’euros (en 2017) ne représente qu’une modeste fraction des dépenses de santé (100 milliards pour les dépenses hospitalières). Aller au bout du raisonnement sur l’articulation nécessaire entre le « soin » et « l’aide à l’autonomie » des personnes âgées doit en effet conduire à se poser la question de savoir s’il est rationnel de conserver la coexistence d’une logique d’aide sociale (APA) et de sécurité sociale (frais de santé) ; et de la compétence, en matière d’aides à l’autonomie, des conseils départementaux. On doit poser clairement la question du rattachement à la solidarité nationale (et donc au pilotage par les agences régionales de santé (ARS) du financement de l’APA, tant à domicile qu’en EHPAD (voir le dernier conflit sur la tarification des établisements).

Il serait également légitime de mieux distinguer la question du « cinquième risque » de l’assurance maladie ou de la santé au sens médical du terme. Cet enjeu concerne toutes les pertes d’autonomie, quel que soit l’âge, le handicap ne devant pas être confondu avec une maladie. Or la prise en charge de l’invalidité par l’assurance maladie entretient la confusion, de même que le rattachement traditionnel du sujet au ministre de la Santé.
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Voir aussi le deuxième article consacré a ce sujet :
Le très grand âge. Le plan dépendance du 30 mai 2018 pour les EHPAD. (Part 2)
http://www.clesdusocial.com/le-tres-grand-age-le-plan-dependance-du-30-mai-2018-pour-les-EHPAD

Références