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La solidarité avec les migrants : un délit ?

samedi 25 février 2017

Des procès récents de citoyens poursuivis pour aider des migrants ont scandalisé les milieux associatifs, qui viennent de publier un manifeste, et de nombreux citoyens. Est-ce le retour du "délit de solidarité" qui fit l’objet dans les années 2000, sous la présidence de Nicholas Sarkozy, de nombreuses polémiques ? Décryptage des enjeux juridiques, humanitaires et politiques de ce concept.

Le "délit de solidarité" : un non-objet juridique mais…

« Le délit de solidarité n’existe plus », a assuré début janvier 2017 le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux. De fait, cette expression n’apparaît dans aucun texte de loi et donc ce délit n’existe pas. C’est en 1995 que cette appellation est apparue sous la signature du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés). L’association s’inquiète alors d’un texte « ambigu et dangereux », en « violation des principes fondamentaux du droit ». En 2003, un « manifeste des délinquants de la solidarité » recueille près de 20 000 signatures et impose ce concept [1] .

… une réalité dans les faits

On l’a vu l’expression « délit de solidarité » n’existe pas dans les textes de loi mais elle fait référence à un article du code de l’entrée du séjour des étrangers et du droit d’asile (art L.622-1). Cet article réprime « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France ». Cette disposition a été conçue pour lutter contre les réseaux clandestins de passeurs. Le délit est puni de 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

La loi, qui date de 1945, comportait une exception : il était possible d’aider un étranger en situation irrégulière à la seule condition que celui-ci se trouve en « danger actuel ou imminent ». Mais cette possibilité était très sévèrement encadrée et a donné lieu à de nombreuses interprétations qui ont culminé lors du quinquennat de N. Sarkozy. De nombreuses associations de défense des sans-papiers ont dénoncé alors une utilisation de cet article de loi contre leurs bénévoles ou de simples citoyens qui ne cherchaient qu’à aider des migrants.

Le gouvernement de François Hollande a encadré cet usage abusif de la loi

Le 19 décembre 2012, l’Assemblée Nationale a voté une réécriture de l’article L.622 qui permet une plus large assistance à une personne en situation irrégulière moyennant deux conditions. Que l’aide ne soit pas soumise à une contrepartie et qu’elle concerne une assistance juridique, de restauration, de logement, de renseignement, de soins... et deuxième condition que toute aide permette de préserver la dignité de la personne aidée. Le nouvel article « protège de fait le travail des humanitaires et bénévoles en faisant la distinction entre deux catégories de personnes », indique Me Bruno Bochnakian : les citoyens, guidés par une motivation humanitaire, et les passeurs mercantiles.

Pourquoi des bénévoles sont-ils poursuivis aujourd’hui ?

Dès 2012 le GISTI avait demandé l’abrogation du texte indiquant à l’époque qu’« il permettra toujours de poursuivre des délinquants solidaires ». Pour l’association, son point faible est qu’il « laisse une marge de manœuvre dans l’interprétation, notamment sur là où commence la menace à l’intégrité physique ou à la dignité » L’appréciation de la contrepartie peut aussi être flottante, ajoute-t-elle. De plus, le texte évoque l’aide au séjour mais n’évoque pas l’aide à l’entrée ou la circulation au sein du territoire français, ce qui met encore en danger les personnes transportant des migrants. Enfin le « délit de solidarité » dépasse largement l’article 622-1 car des poursuites sont menées « sur la base de textes sans rapport avec l’immigration ».

Depuis plusieurs affaires récentes ont remis ce débat sur le devant de la scène. Le 18 décembre 2015, une maîtresse de conférences retraitée a été condamnée à 1 500 euros d’amende pour avoir transporté une mère et son enfant, sans-papiers, de la gare de Nice à la gare d’Antibes. Récemment, un Britannique, Rob Lawrie, a comparu devant le tribunal de Boulogne-sur-Mer, accusé d’avoir voulu faire passer une fillette de 4 ans en Angleterre à l’époque de la jungle de Calais. Il a été condamné à 1 000 euros d’amende avec sursis. Le 6 janvier 2017, Pierre-Alain Mannoni, enseignant-chercheur poursuivi pour avoir convoyé des Érythréennes venues d’Italie, et qui risquait six mois de prison avec sursis, a été relaxé, mais le parquet a fait appel. Enfin, cas emblématique, l’agriculteur Cédric Herrou a été condamné le 10 février à 3 000 euros d’amende avec sursis pour aide à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulière. Son affaire a mobilisé la vallée de la Roya où il habite et les lecteurs de Nice-Matin l’ont choisi comme le Provençal de l’année 2016. Le parquet avait requis huit mois de prison avec sursis.

En conclusion

Pour Maitre Bruno Bochnakian la réécriture du texte en 2012 est bonne, mais il y a un problème d’interprétation. Pour lui, la volonté politique de distinguer les citoyens des passeurs est bien là, mais le parquet ou les procureurs ne sont pas tous sur la même ligne. C’est ce qui peut mener les associations humanitaires à considérer que le "délit de solidarité" existe toujours.

Force est donc de constater que le législateur et la communauté nationale sont interpellés depuis de nombreuses années par le concept de « délit de solidarité ». Le texte de loi actuel est-il bien calibré alors qu’il donne lieu devant les tribunaux à des appréciations très différentes et ambigües ? Les épisodes juridiques récents plaident pour que le flou législatif actuel soit levé et que les personnes solidaires ne soient pas sanctionnées.


Sources


Notes :

[1(A lire le très intéressant article de Carrère Violaine, Baudet Véronique, « Délit de solidarité », Revue Plein droit, 1/2004 (n° 59-60), p. 14-17.