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Réduire les discriminations, un gain substantiel en croissance et en revenu !

mercredi 2 novembre 2016

À la suite du rapport réalisé par le groupe de dialogue contre les discriminations, France Stratégie a été chargée de réaliser une étude sur le gain économique apporté par la lutte contre les discriminations. C’est aujourd’hui chose faite. Le rapport fait une mesure précise de l’impact des discriminations dont font l’objet certains groupes de la population et évalue les gains qu’apporterait la réduction des écarts de discriminations en matière de salaires, d’accès au travail et d’éducation. Une démonstration argumentée et probante. Comme le dit Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, « la lutte contre les discriminations est non seulement une question morale » mais aussi « leur élimination induirait, à terme, un gain substantiel en croissance et en revenu ». En l’occurrence, selon l’équipe qui a réalisé ce travail, un gain sur le PIB qui varie entre 3.6 % et 14.1 % suivant les scénarios et, pour le plus probable, un gain de 6.9 % soit 150 milliards d’euros sur la base du PIB français de 2015. Tel est le message essentiel de ce rapport.

Comment mesurer l’impact économique des discriminations ?

Trois approches permettent d’évaluer l’ampleur des discriminations :

  • Leur perception par les victimes elles-mêmes au travers d’enquêtes sociologiques ou de sondages.
  • La méthode dite de « testing » qui permet de mettre en évidence des différences de traitement notamment au moment de l’embauche.
  • L’analyse des écarts à partir de statistiques entre une population dite discriminée et un groupe de référence.

C’est cette dernière méthode qui a été retenue pour l’élaboration de ce rapport. L’analyse permet de distinguer ce qui vient de différences statistiquement visibles ou objectives et des différences inexpliquées dont une partie relève seulement de phénomènes discriminatoires. Et cela à partir de quatre dimensions : l’accès à l’emploi, l’accès au CDI-temps plein, le niveau de salaire et la proportion de bacheliers et plus. Pour mesurer ces discriminations, les chercheurs ont comparé les populations de référence avec les populations jugées discriminées. Ainsi compare-t-on les situations des femmes par rapport aux hommes pour les discriminations hommes-femmes et les descendants de parents européens et africains ou des DOM avec les personnes sans ascendance migratoire directe.

Si le rapport aborde succinctement les écarts dus au lieu de résidence et au handicap, il s’attache principalement à étudier les discriminations liées au sexe et à l’origine géographique.

L’importance des discriminations

Une série de tableaux démontre à quel point les discriminations sont fortes en direction de certains types de population.

Ainsi, même si l’accès au bac et à l’enseignement supérieur augmente pour toutes les populations au fil du temps, il reste, par exemple pour les 25-29 ans, un écart inexpliqué important entre les femmes sans ascendance migratoire (population de référence) et les hommes avec origine africaine (-15 points) ou les hommes avec une origine dans les DOM (-14 points).

Le taux d’activité des femmes est inférieur de 10 points à celui des hommes. Il en est pratiquement de même entre les hommes avec ascendance migratoire et les hommes sans ascendance migratoire (-9 points).

Si une partie des écarts entre les hommes et les femmes peut s’expliquer par des raisons objectives (niveau de qualification, profession, recours au temps partiel, etc.), il n’en reste pas moins que l’écart inexpliqué de salaire entre les hommes sans ascendance migratoire et les femmes sans ascendance migratoire est de 12 points et de 13 points pour les femmes avec ascendance d’origine africaine ou maghrébine ou originaires des DOM.

De même, les écarts inexpliqués pour l’accès au CDI-temps plein sont tout aussi révélateurs des inégalités entre les hommes sans ascendance migratoire directe et les autres groupes. Il est de -20 points avec les femmes sans ascendance migratoire directe, -15 points avec les hommes descendant d’immigrés d’Afrique ou du Maghreb, -29 points avec les femmes de cette origine.

Les gains à attendre pour l’économie d’une réduction des discriminations

Les discriminations constituent une source de perte collective

En limitant l’accès au travail de certaines parties de la population, on exerce une pression à la hausse sur les salaires, donc on augmente le coût du travail tout en diminuant l’offre de biens et de services en augmentant le chômage.

En empêchant une partie de la population d’accéder à certains métiers, on entraîne une baisse de l’offre de travail qualifié avec une augmentation de sa rémunération et on augmente l’offre de travail non qualifié avec pour ces travaux une rémunération plus faible. Au bout du compte, cela amène une perte collective avec la baisse de production de biens de qualité.

Si l’on considère que chacune des couches de la société renferme une distribution identique de talents, en écartant une partie de la population on ferme la porte à ces talents et on se prive de personnes à haut potentiel dont les postes vont être occupés par des personnes moins talentueuses. Cela a un coût d’autant plus évident que le poste est élevé. Ainsi de ce fait, au niveau de l’entreprise, le recrutement à parité amènerait un gain de 7 % par rapport à une entreprise qui ne recruterait que des hommes.

D’une façon plus générale, le rapport établit que la disparition des écarts entre les hommes et les femmes aboutirait à une hausse de la productivité de 10 %.

Quels gains macro-économiques attendre ?

Le rapport propose quatre scénarios de réduction des écarts entre les différentes catégories. La réduction de ces écarts est autant de ressources pour réaliser des gains pour l’économie. Le principe retenu pour chacun des écarts est de rapprocher de la moyenne les catégories qui connaissent des écarts non expliqués et cela par tranche d’âge (25-29, 30-39, 40-54 et 55-59 ans). Les groupes situés au-dessus de la moyenne restent inchangés. D’autre part, parce que tout ne s’explique pas par les discriminations et que les résultats obtenus risqueraient d’être excessivement exagérés, les chercheurs n’ont pas voulu considérer que les écarts entre catégories pouvaient complétement disparaître.

Quels sont les quatre scénarios ?

Le premier scénario ne prend en compte que l’accès à un emploi qualifié et donc à une amélioration du salaire des catégories discriminées.
Le deuxième rajoute au premier un meilleur accès à l’emploi de ces catégories.
Le troisième rajoute aux deux précédents l’effet de la convergence de la durée hebdomadaire du travail qui toucherait plus particulièrement les femmes et les hommes à ascendance d’origine africaine.
Enfin, le quatrième scénario rajoute aux précédents l’effet à attendre d’une amélioration des écarts en matière d’éducation en amenant une part plus importante de personnes au niveau du bac dans les catégories discriminées. Ce dernier scénario est de plus long terme.

Quels résultats ?

Le rapport s’attache à mesurer l’impact des différents scénarios sur le niveau des salaires pour les différentes catégories, sur le volume des emplois, sur le PIB et enfin sur les finances publiques.

Sur les salaires, le premier scénario qui joue sur le niveau de qualification a un impact plus important pour les femmes en général et dans l’ensemble des natifs des DOM. Il joue très peu sur les hommes à ascendance africaine. L’amélioration est d’autant plus sensible qu’elle touche des salaires élevés. L’effet sur le volume d’heures travaillées (3ème scénario) ne touche exclusivement que les femmes dans toutes les catégories. Quant à l’effet éducation (4ème scénario), il joue principalement sur les hommes notamment ceux d’ascendance étrangère et sur les femmes originaires des DOM.

Quant aux gains sur le volume des emplois, l’effet d’un meilleur accès à l’emploi (scénario 2), touche particulièrement les personnes d’origine étrangère et surtout les femmes toutes catégories confondues qui représentent plus des deux tiers de l’augmentation du volume d’emploi évalué au total à un peu plus de 600 000 emplois. L’effet d’une augmentation de la durée du travail aurait un impact encore plus important (974 000 emplois équivalent temps plein) et toucherait aussi principalement les femmes.

L’impact des différents scénarios sur le niveau total du PIB est de +3,6% pour le scénario 1 (soit 80 milliards d’euros sur la base du PIB de 2015), +6,9 % pour le scénario 2, l’hypothèse retenue par le rapport, +11,7 % pour le scénario 3 et +14,1% pour le scénario 4 (soit environ 310 milliards d’euros). Les femmes contribuent le plus à ces augmentations dans tous les scénarios. Les personnes d’origine migratoire contribuant elles plus particulièrement dans les scénarios 2 et 4.

Sur le solde public primaire (différence entre recettes et dépenses publiques), l’amélioration est respectivement suivant les scénarios 1, 2, 3, 4 de 1,3 %, 2,5 %, 4,2 % et 5,1 %.

Finalement, la lutte contre les discriminations permet d’améliorer les salaires, le niveau d’emploi, produit des richesses supplémentaires et améliore les finances publiques.

En conclusion, ce rapport est particulièrement salutaire à un moment où, souvent par de faux débats, la société s’interroge sur son identité où certains veulent exacerber nos différences d’origine. On ne peut pas en appeler au respect du modèle républicain sans tenir compte de la réalité de la société française et les discriminations dont font l’objet les femmes mais aussi les personnes à ascendance d’origine étrangère particulièrement africaine et maghrébine. C’est une question morale, d’éthique républicaine mais c’est aussi une nécessité pour notre économie et notre développement. Et comme le dit Jean Pisani-Ferry dans l’avant-propos « Ce qu’illustre en définitive ce travail, c’est qu’il n’y a aucune contradiction entre équité et réformes économiques porteuses de prospérité. Trop souvent, on oppose justice sociale et efficacité. La lutte contre les discriminations conjugue l’une et l’autre ».


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