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Pourquoi une si grande atonie des exportations françaises ?

mercredi 10 avril 2019

L’économie française envoie des signaux complexes à analyser. Alors que de nombreux pays européens voisins révisent nettement à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2019, la France semble devoir mieux résister. La croissance pourrait y atteindre encore 1,4 % selon les dernières prévisions de la Banque de France. Mais, dans le même temps, les exportations françaises n’ont pas regagné ces dernières années les parts de marché qu’elles avaient perdues avant la crise, ce qui suscite des inquiétudes sur la compétitivité. Le CEPII [1], dans une publication récente propose plusieurs explications et établit des comparaisons avec d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

Le solde de la balance courante depuis 20 ans

Le solde de la balance courante est un chiffre qui reflète les échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants de la France avec le reste du monde. Il s’est dégradé entre 1999 et 2011, passant de +3,4 % à -1,0 % du PIB, pour se redresser légèrement depuis, avec un déficit moyen de 0,7 % du PIB au cours des années 2015 à 2017.

Très classiquement, l’enquête compare cette situation avec celle de l’Allemagne dans la même période. Le contraste est frappant car l’excédent allemand a augmenté presque continûment au cours de la même période, pour atteindre 8,1 % du PIB en 2017.

L’évolution de la France reflète un manque de dynamisme des exportations de biens et services, qui s’est traduit par une lourde chute de leur part dans le marché mondial, passée de 5,8 % en 1999 à 3,5 % en 2017, une baisse de 40 %.

Comment expliquer cette atonie des exportations françaises ? De nombreux facteurs sont fréquemment évoqués qui se traduisent parfois par des propositions gouvernementales ou politiques. S’agit-il de performances défavorables de certains secteurs, d’un coût du travail trop élevé, de problèmes de compétitivité hors prix, de marchés d’exportation peu porteurs, un effet de la désindustrialisation ou de l’internationalisation de nos champions nationaux… ?

Une chute liée à certains secteurs ?

L’analyse montre que la chute des parts de marché est une tendance partagée par l’ensemble des secteurs, avec la plupart du temps un déclin assez proche des 40 % constatés pour l’ensemble. Seule l’aéronautique fait figure d’exception, positivement, puisque la part de la France dans les exportations mondiales y a sensiblement augmenté depuis 1999. Pour ce qui est de l’automobile dont le poids est considérable (7 % des exportations françaises en moyenne pendant la période), le contraste est saisissant de part et d’autre du Rhin. L’excédent français de 6 milliards d’euros en 1999 se transforme en déficit de 14 milliards d’euros en 2017, alors que pendant la même période, l’excédent allemand passe de 47 à 134 milliards d’euros.

S’agit-il d’un problème de coût du travail ?

Le coût du travail était l’explication privilégiée avant la crise, étant donnés les écarts de tendance. De 1999, date d’introduction de l’euro, jusqu’en 2008, la croissance cumulée des salaires nominaux a été de 11 % en Allemagne, contre 29 % en France, 32 % en Italie et 42 % en Espagne. Or, depuis, ces tendances ont beaucoup changé, sous l’effet combiné de la crise financière en 2008-2009 puis de la crise de la zone euro entre 2010 et 2012. La croissance des salaires ralentit en Italie et surtout en Espagne. Elle est nettement dépassée par celle de l’Allemagne. Dans ce mouvement, la France se distingue par la stabilité de son taux de croissance des salaires nominaux, qui ralentit d’une façon comparativement limitée et tardive, à partir de 2013. Le CICE, qui réduit le coût unitaire moyen du travail en France de 2,5 % en 2018, n’est pas pris en compte dans ce calcul ainsi que les suppressions de certaines cotisations sociales par l’actuel gouvernement.

S’agit-il de marchés moins porteurs ?

Cette question a souvent été examinée, généralement en y apportant une réponse négative. Les données les plus récentes confirment ce constat, dans la mesure où le taux de croissance n’est pas fortement contrasté entre les grands pays de la zone euro. Les baisses de parts de marché françaises ne s’expliquent pas par une plus faible croissance de leurs marchés d’exportation ni par le niveau de qualité des produits exportés.

Est-ce un effet de la désindustrialisation ?

Cette explication est avancée chaque fois que les médias rapportent des problèmes de fermetures d’entreprise ou de difficultés. L’actualité récente est à cet égard édifiante. De fait, l’évolution de la production manufacturière des grands pays de la zone euro depuis 1999 est très contrastée, l’augmentation de plus de 40 % en Allemagne tranchant avec la baisse de près de 15 % enregistrée par l’Espagne et l’Italie, ou le laborieux retour de l’industrie manufacturière française à son niveau de 1999, après la chute de plus de 20 % subie au moment de la crise financière.

Rien ne permet cependant d’affirmer qu’il existe une causalité univoque à cette atonie récente des performances françaises. L’observation des performances de l’Espagne illustre d’ailleurs les limites de cette logique, puisque la chute de sa production après la crise, nettement plus forte que celle de la France, ne l’a pas empêchée de regagner ensuite des parts de marché substantielles à l’exportation.

L’économie française a-t-elle un problème de compétitivité hors prix ?

La compétitivité hors prix (ou la notion de qualité des produits) est estimée comme un résidu, c’est-à-dire comme les variations qui ne sont pas expliquées autrement. En ce sens, il s’agit d’une mesure de notre ignorance. En l’occurrence, les études sur la qualité des produits exportés font bien apparaître la forte qualité allemande, sans pour autant suggérer de sous-performance française en la matière. Regardons l’investissement. Dans les machines et équipements, le taux d’investissement français (proche de 5 % du PIB ces dernières années) est significativement plus faible que celui de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne (6,5 à 7 % en 2017), ce qui s’explique notamment par la faible part du secteur manufacturier dans la valeur ajoutée en France. Dans l’immatériel, le très haut niveau relatif d’investissement de la France dans les logiciels et bases de données est difficile à interpréter étant donné les problèmes de mesure (voir Clés du social : L’investissement des entreprises françaises est-il efficace ?). Quant à la R&D, le taux d’investissement de la France (environ 2,5 % du PIB) n’est que légèrement inférieur à celui de l’Allemagne, même s’il ne bénéficie pas de la même tendance ascendante, et il est nettement supérieur à celui de l’Espagne et de l’Italie (de l’ordre de 1,5 % dans les deux cas).

Ces différences ne permettent pas d’expliquer de manière probante la faiblesse des performances commerciales françaises.

Le rôle des entreprises multinationales joue-t-il un rôle ?

Le poids des entreprises multinationales peut aider à comprendre les spécificités de la France, parce qu’il y est beaucoup plus grand que chez les autres grands pays de la zone euro. Et c’est là que le CEPII situe le principal problème français concernant les exportations. L’emploi salarié à l’étranger de nos champions nationaux atteignait près de 6 millions en 2014, contre 5 millions pour les multinationales allemandes, 1,8 pour les italiennes et moins d’un million pour les espagnoles. Cette spécificité française s’accentue, puisque le nombre d’employés et le chiffre d’affaires à l’étranger des multinationales françaises ont augmenté de près de 60 % entre 2007 et 2014, un rythme deux fois supérieur à celui des multinationales allemandes ou italiennes. Les conséquences sont ambiguës parce que l’implantation à l’étranger n’est pas nécessairement un substitut à la production sur le territoire national.

D’après les statistiques de l’INSEE, la part des multinationales dans les exportations françaises est restée stable à 88 % entre 2011 et 2015, ce qui suggère que leurs performances à l’export sont similaires à celles des autres entreprises, mais des estimations sur la période 2001-2007 avaient montré que, compte tenu des effets spécifiques aux secteurs et destinations desservis, les performances moyennes à l’exportation des entreprises indépendantes étaient meilleures que celles des sociétés appartenant à un groupe.

Il reste que le contraste avec les pays voisins est frappant, comme l’illustre le secteur automobile. Dans la production des marques françaises destinée à servir le marché domestique, la part localisée dans des pays à revenu moyen inférieur à celui de la France est passée de moins de 10 % au début des années 2000 à près de 50 % en 2016. Dans le même temps, cette part n’a augmenté que de 15 % à 25 % pour les marques allemandes.

Les activités de conception et de R&D de ces constructeurs sont cependant restées localisées en France pour l’essentiel, illustrant la dissociation entre les activités liées à l’investissement immatériel et celles de production. Cette dissociation pourrait en outre être amplifiée dans le cas français par les incitations fiscales ciblant les activités de R&D, qui sont particulièrement fortes au travers du crédit d’impôt recherche (CIR).

Une conséquence de ces activités des multinationales à l’étranger est en revanche très claire. Elles engendrent des revenus d’investissement nets importants, qui atteignaient 43 milliards d’euros en 2017, soit 1,9 % du PIB français (contre respectivement 1,5 % du PIB en Allemagne et autour de 0,5 % en Espagne et en Italie). Ces revenus compensent partiellement le déficit des échanges de biens et services, permettant à la balance courante de la France d’approcher l’équilibre.

En somme, l’atonie des exportations françaises, pour étonnante qu’elle puisse paraître, reflète à la fois les déséquilibres persistants au sein de la zone euro mais aussi l’importance de l’investissement à l’étranger des grandes entreprises françaises.

Pour le CEPII, remédier aux premiers problèmes, les déséquilibres, nécessite une meilleure coordination des politiques macroéconomiques en zone euro, ce qui sera un des débats des futures élections européennes. Empêcher que la seconde, l’importance de l’investissement à l’étranger, ne nourrisse la désindustrialisation appelle à renforcer l’attractivité de la France comme lieu non seulement de conception mais également de fabrication.

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Source


Notes :

[1Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales est un service du Premier ministre, membre du réseau coordonné par France Stratégie. Le CEPII est le principal centre français de recherche et d’expertise en économie internationale.