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Le paysage syndical après la loi Travail

samedi 3 septembre 2016

Comme dans d’autres épisodes de l’histoire sociale de notre pays, les divergences syndicales ont été exacerbées avec la loi Travail. Le contexte politique, économique et social qui a accompagné le parcours pour le moins tortueux du projet de Loi Travail pèse sur le syndicalisme français.

Pourtant, grâce à la CFDT, soutenue par la CFTC et l’UNSA, la loi a bien évolué pour devenir un texte innovant, d’inspiration clairement social-démocrate donnant toute sa place aux partenaires sociaux de l’entreprise et de la branche et accordant de nouveaux droits aux salariés et notamment aux jeunes.

Après des semaines d’un conflit mené par la CGT, FO et Solidaires rejetant le texte en bloc avec des journées d’action qui n’ont rassemblé qu’un nombre modeste de manifestants (bien en dessous des manifestations contre le CPE en 2006 et des retraites en 2010), ponctuées d’actions violentes d’une minorité de « casseurs », le texte a finalement été adopté par le Parlement au prix d’un passage en force du gouvernement et validé par le Conseil Constitutionnel.

Qu’en est-il du paysage syndical après cette épreuve alors même que certains envisagent de continuer l’action à la rentrée de septembre. Voyons d’abord par organisation ce qu’il en est :

La CGT a voulu démontrer son retour à un syndicalisme de lutte « qui ne lâche rien » acté lors de son congrès de mars 2016. C’est réussi ! Mais à quel prix ? Rarement la CGT et son leader n’ont eu une aussi mauvaise image et un tel rejet dans l’opinion. Points positifs toutefois pour Philippe Martinez : il est maintenant connu dans l’opinion et sa stratégie de fermeté a permis globalement de ressouder son organisation. Mais sur le long terme, ce repli sur le noyau dur des salariés, la place grandissante tenue par l’extrême-gauche dans l’organisation, son refus de toute évolution sociale risque de coûter très cher en audience électorale et surtout en capacité de peser dans les entreprises et au-delà au niveau des branches et à l’interprofessionnel.

En acceptant de se placer à la remorque de la CGT dans la conduite de l’action, FO a perdu en notoriété et surtout en crédibilité. Et cela même si son attitude de refus de « l’inversion de la hiérarchie des normes » est cohérente avec son histoire. Sa faible capacité à mobiliser dans la rue, sa relativement faible implantation dans les entreprises ne lui permettent pas de peser vis-à-vis de la CGT pour décider de la stratégie d’action et de se faire entendre du gouvernement malgré de nombreux appels (tardifs il est vrai) à la négociation.

Solidaires n’a pas ces problèmes. À l’aise dans l’action contestataire sans se soucier apparemment ni de son audience ni de sa capacité à peser, cette organisation a joué sa carte habituelle sans réellement être audible. Notons aussi le caractère relativement effacé de la FSU sur un terrain interprofessionnel et concernant essentiellement le privé sur lequel elle n’a jamais été à l’aise. Cet épisode n’aura que peu d’impact sur la vie et l’avenir de ces deux organisations.

Inutile de s’attarder sur les organisations lycéennes et l’UNEF, trop proches de la gauche du PS, du Parti de Gauche et du PC pour être audibles et qui ont été rapidement déstabilisées par leur incapacité à contenir les violences de certains jeunes et par les propositions du gouvernement sur les jeunes qui leur ont enlevé leurs principales raisons de manifester, à l’approche, qui plus est, des examens. La première place prise par la FAGE aux élections des Conseils d’administration des Universités devrait amener l’UNEF à réfléchir sur sa stratégie à venir si elle veut reprendre sa place historique dans le monde universitaire.

Du côté des organisations réformistes, la période a été difficile à gérer et les attitudes ont été différentes. À mi-chemin entre contestataires et réformistes, à la faveur d’un changement de président au cours de son Congrès d’Avril, la CGC a tenté de jouer une carte à part : demander l’abandon du projet sans se rallier aux actions des organisations contestataires. Malgré une mobilisation non négligeable pour elle (quelques centaines de manifestants sur l’Esplanade des Invalides début mai), à aucun moment sa position n’a pesé sur le cours des événements.

Si la CFTC a tenté dès le début de jouer la carte de la négociation alors que le texte contenait des mesures inacceptables, elle s’est vite ralliée à la stratégie et aux propositions de la CFDT. Pour elle, l’essentiel est ailleurs : préserver sa représentativité dans de nombreuses branches en 2017 alors qu’elle peut espérer la maintenir au plan interprofessionnel.

Cette période, comme pour la FSU et Solidaires, ne devrait rien changer pour l’UNSA ni dans sa stratégie réformiste, ni dans son audience électorale. Cette organisation se situe clairement dans le camp réformiste, a soutenu le texte depuis sa deuxième mouture.

Enfin venons-en à la CFDT. Fidèle à sa stratégie et à la faveur d’un délai de concertation supplémentaire qu’elle a obtenu, elle a été en capacité de proposer au gouvernement des modifications du texte (50 pages) qui en ont fortement changé le sens : retrait des mesures inacceptables et accords d’entreprise obligatoires en matière de temps de travail, etc… Ce qui a permis aussi de préserver les mesures essentielles du texte et de mettre le dialogue social au centre de la loi.

En refusant d’intégrer le front du refus et en soutenant un texte qu’elle a contribué à faire profondément évoluer, la CFDT a incontestablement pesé dans le débat. Mais elle a aussi attiré contre elle les foudres des organisations et groupes ou syndicats d’extrême gauche qui n’ont pas hésité à utiliser la violence et l’intimidation contre elle. Malgré tout, Laurent Berger et son équipe ont maintenu le cap pendant ces longs mois, soutenus globalement par les militants CFDT. Même s’il est difficile d’évaluer aujourd’hui quelles conséquences aura eu ce positionnement sur l’audience de la CFDT dans les entreprises et lors des prochaines élections TPE, on peut simplement lui reconnaître la cohérence de son action et de sa démarche.

Au final, le clivage entre deux conceptions du syndicalisme est apparu très clairement sur deux points essentiels.

Sur le fond du texte, le désaccord porte sur le rapport entre la loi et la négociation et sur le niveau de la négociation notamment au travers de l’article 2 sur le temps de travail. Faut-il faire ou non confiance aux acteurs de terrain pour définir les règles ? Cette divergence de fond a divisé le syndicalisme français depuis la fin des années 60 et plus particulièrement la CGT et la CFDT.

Sur la forme, la stratégie du retrait du texte portée par la CGT s’est opposée à celle de la CFDT de la négociation pour le faire évoluer. Il s’agit bien aussi d’une différence fondamentale sur l’utilité du syndicalisme. Comment défend-on le mieux les salariés ? La posture du refus a-t-elle servi réellement leurs intérêts fondamentaux ? La question mérite d’être posée et cela d’autant plus que s’il y a alternance, cette posture pourra servir de prétexte supplémentaire à une nouvelle majorité et au patronat pour fustiger l’impossibilité du dialogue social en France et faire passer des mesures bien plus dures pour les salariés et sans contrôle syndical…

Le syndicalisme français sera-t-il capable de dépasser ces divergences ? Il y est arrivé dans un passé récent, quand, à la suite du conflit des retraites il avait tenté de dégager des axes communs de réflexion et d’action en intersyndicale. Ce n’était pas facile, mais les grandes organisations syndicales françaises, CFDT et CGT en tête, avaient tenté de suivre ce chemin, conscientes que, divisé, le syndicalisme perdrait de son influence. Même si le positionnement actuel de la CGT ne rend pas optimiste, faut-il désespérer pour autant ?


En référence à la réunion du PS du 29 août à Colomiers (près de Toulouse) en présence de Manuel Valls et de membres du gouvernement, que la CGT a qualifié de « provocation indécente » :« La CGT considère ce déplacement sur la terre natale de Georges Séguy comme une provocation indécente ».