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La jeunesse française est une exception

dimanche 31 janvier 2010

Une enquête comparative montre le particularisme des jeunes Français

« Mon avenir est prometteur ? » : Les jeunes Français ne sont que 26% à répondre positivement. Ils sont aussi ceux qui déclarent le moins « avoir une liberté complète et un contrôle de leur avenir ». Ce sont ceux aussi qui sont les moins disposés à payer pour les retraites des plus âgés. Ils sont ceux qui ont le moins confiance dans les institutions et représentations collectives nationales ou internationales. Ils se distinguent enfin en réclamant la protection individuelle de l’Etat et en préférant l’équité à la récompense du mérite. Deux explications à cette originalité française.

D’abord par les difficultés que les jeunes rencontrent pour entrer sur le marché du travail. La protection relativement élevée de l’emploi protège davantage ceux qui en ont un et les formes d’emploi précaires se concentrent chez les jeunes. Ce système d’emploi « fermé », par opposition aux systèmes ouverts d’autres pays, fait des jeunes Français « une variable d’ajustement à l’économie ». Ce qui ne les pousse pas à l’optimisme.

En second lieu, le système éducatif où le diplôme n’est pas conçu comme un investissement en capital humain, mais comme un « titre qui confère des droits et ouvre l’accès à une place dans la hiérarchie sociale ». (Marie Duru-Bellat).

Il faut donc réformer marché du travail et système éducatif, joyaux d’un modèle républicain …défendus par ces mêmes jeunes alors qu’il les défavorise.

Nous donnons ci-dessous des extraits d’une enquête comparative sur la jeunesse de différents pays : Danemark, Suède, Espagne, Japon, Allemagne, Etats-Unis, Chine et France (Etude publiée par la Fondation pour l’innovation politique en 2008). Elle nous renvoie des questions sur la place offerte aux jeunes dans notre société.

Les jeunes Français en effet se distinguent des jeunes Européens par une attitude qui s’éloigne systématiquement des positions libérales : ils réclament à la fois la protection individuelle (par l’État), l’équité plutôt que la récompense du mérite et la protection collective. Ils présentent l’adhésion au protectionnisme la plus forte de tous les pays étudiés. Leur attitude très réservée à l’égard de la mondialisation, - crainte surtout à cause des menaces qu’elle représente pour l’emploi -, confirme leur défiance à l’égard du marché.

Autonomie individuelle ou obéissance résignée
Dans tous les pays, l’autonomie individuelle et l’acquisition de l’indépendance ont un score supérieur à l’obéissance comme valeur à enseigner aux enfants.. La France est le seul pays où les jeunes sont plus nombreux à estimer que l’obéissance est très importante, comparativement à l’autonomie individuelle.

Contrairement à une représentation répandue par des politiques, des intellectuels et des médias, les excès de l’individualisme antiautoritaire ne caractérisent pas la France. Il est vrai que les jeunes Français ont obtenu une certaine libération, avec le droit à une vie sexuelle en dehors du mariage et de la vie conjugale la possibilité d’accéder à des mondes parallèles grâce d’abord aux radios libres et ensuite « jeunes ». Mais cela n’a pas suffi à modifier aussi fortement qu’ailleurs les conditions permettant aux jeunes de devenir maîtres de leur existence. L’enfant, le jeune, n’est pas roi, même de sa vie. Il n’exerce le pouvoir que sur ses vêtements, sa musique, mais son avenir scolaire ne lui appartient pas.

Entrer dans de bonnes conditions sur le marché du travail est indispensable pour que l’autonomie soit associée à une véritable indépendance. Les difficultés rencontrées par les jeunes Français dans ce domaine témoignent aussi d’une stratégie, consciente ou non, des générations d’adultes pour les maintenir dans une interminable jeunesse. Les jeunes Français peuvent s’amuser, faire la fête, à condition de ne pas réclamer avec trop de force leur place sur le marché du travail.

Une crise de confiance intergénérationnelle ?
Les jeunes qui ont le moins le moral sont aussi ceux qui déclarent le moins « avoir une liberté complète et le contrôle de [leur] propre avenir ». Ainsi, 22 % des jeunes Français, contre 51 % des jeunes Américains et 45 % des jeunes Chinois et Danois, estiment avoir la maîtrise de leur existence future. Ils ont en quelque sorte le sentiment d’une dépossession d’eux-mêmes en n’ayant pas le pouvoir sur leur vie.

La solidarité avec les générations plus âgées semble liée, chez les jeunes, à leur perception de l’avenir. Indépendamment de leur sens de la famille, les jeunes les moins optimistes envisagent avec peu d’enthousiasme de contribuer aux retraites des plus âgés.

C’est en France et au Japon que les jeunes sont les moins motivés à être solidaires avec les plus âgés. Faute de penser en avoir les moyens avec des salaires et une espérance de retraite correcte ? Manière pour eux de prendre leur revanche sur ces générations qui les précèdent ? Estimant être privés d’avenir, ils leur en attribuent, semble-t-il, la responsabilité et en concluent qu’ils ne leur doivent rien. Un tel indicateur, outre le fait qu’il est inquiétant pour le traitement de la question des retraites, manifeste une crise de confiance intergénérationnelle.

Impossible d’avoir une liberté et un contrôle total sur son propre avenir
Une chose semble certaine : ni la France ni le Japon ne sont en crise par excès d’individualisme, bien au contraire. Pour retrouver le moral, leurs jeunes doivent être mieux reconnus, sans attendre d’atteindre l’âge adulte. Ils doivent avoir d’autres terrains d’exercice de leur souveraineté que le monde artificiel de la « culture jeune ». Ne serait-il pas possible de les rendre plus responsables d’eux-mêmes tout au long de leur vie, en diminuant le poids du diplôme sur leur destin personnel ? Ne serait-il pas possible de les reconnaître, dans le cadre de politiques de la jeunesse, comme des acteurs à part entière et pas seulement comme des enfants de la famille ?

Les causes de la crise de l’intégration française ne doivent donc pas être recherchées dans la seule absence, maintenant presque totale, de socialisation religieuse ou dans l’affaiblissement de la socialisation politique. Il s’agirait aussi d’une crise de confiance plus générale dans la société, ses élites et ses structures. Les résultats concernant la confiance dans les institutions permettent d’établir un classement des pays assez proche de celui qui résulte du sentiment d’appartenance.

Par quoi est alimenté ce pessimisme ?
Un début de réponse peut se trouver dans le fait que la France appartient, avec l’Italie et d’autres pays méditerranéens, au groupe de pays à « système d’emploi fermé », système qui concentre la flexibilité de l’emploi sur les jeunes.

Les jeunes constituent donc une des variables d’ajustement de l’économie, dans un contexte où la mondialisation et l’incertitude croissante des prévisions économiques conduisent les entreprises à rechercher une flexibilité croissante dans l’emploi de leurs ressources.

Les jeunes Français ont donc quelques bonnes raisons d’être moins optimistes que les Danois ou les Norvégiens. Ce pessimisme hexagonal est alimenté par une profonde crise de confiance dans les institutions et les élites, on l’a vu précédemment, mais aussi par une sorte d’« hyperconformisme » des jeunes, qui les conduit à une forme de résignation, comme si leur sort était écrit à l’avance, sans qu’ils puissent orienter le cours de leur vie dans un sens favorable.

En France, le diplôme n’est pas conçu comme un investissement en capital humain permettant de mieux se vendre sur le marché du travail (conception anglo-saxonne), c’est un titre, un peu comme un titre de noblesse, qui confère des droits et ouvre l’accès à une place donnée dans la hiérarchie sociale. Marie Duru-Bellat explique très bien dans son livre, L’Inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, cette conception statutaire et hiérarchisante des études dans la conception française. Les études sont d’abord conçues comme une échelle stratifiée où le niveau compte plus que le contenu. Pour les jeunes Français et leur famille, tout se joue donc là : être classé scolairement revient à être classé socialement. Cette conception des études est peut-être à la racine du fatalisme et du pessimisme des jeunes Français. Leur avenir ne dépend pas d’eux, mais d’une institution qui leur assigne une place dans la hiérarchie sociale.