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Jean-Paul Jacquier (1940-2014), militant de la « mutation » du syndicalisme

dimanche 25 mai 2014

Michel Noblecourt, dans Le Monde de samedi 24 mai, réalise un nouveau portrait de Jean-Paul Jacquier et de son action pour la mutation du syndicalisme vers « négocier et réaliser ». Nous le proposons à votre lecture.

Ancien secrétaire national de la CFDT, Jean-Paul Jacquier, mort à l’âge de 73 ans, le 15 mai à Boudou (Tarn-et-Garonne), des suites d’une leucémie, a voulu toute sa vie réenchanter le syndicalisme. Né le 21 juillet 1940 à Annaba, en Algérie, ce jeune ingénieur en agriculture, diplômé de l’ Ecole supérieure d’agriculture, fait ses premières armes à la chambre d’agriculture du Maine-et-Loire, avant de devenir, dès 1966, permanent syndical au syndicat CFDT de l’agriculture du département.

Secrétaire général du Syndicat national de l’action technique et professionnelle agricole, en 1968, Jean-Paul Jacquier entre, en 1971, à la direction nationale de la Fédération générale de l’agriculture (FGA) dont il deviendra, en 1980, le secrétaire général. Le sourire ironique, l’humour corrosif – ses proches évoquent un " humour fracassant " –, l’homme est chaleureux, convivial. Mais ce syndicaliste, qui a fait un détour par le PSU, se révèle surtout combatif. En 1976, il juge que " la crise a conforté le patronat agricole dans son conservatisme ". En 1979, il s’en prend avec véhémence à l’ancien président de la FNSEA, Michel Debatisse, qui vient d’être nommé secrétaire d’Etat aux industries agro-alimentaires : " C’est l’homme de la répression syndicale, que nous avons subi comme un employeur répressif. "

En 1982, Edmond Maire, qui a procédé, quelques années plus tôt, à un " recentrage " pour resyndicaliser sa stratégie, ne plus faire dépendre le changement social du changement politique et redonner sa place à la négociation, cherche à s’entourer de modernistes. Il fait monter à la commission exécutive – le " gouvernement " de la CFDT – Jean-Paul Jacquier, qui se flattera toujours d’avoir été le plus mal élu à cette instance. Chargé de l’entreprise et des droits des salariés, le nouveau secrétaire national se singularise vite. En décembre 1982, après un revers de la CFDT aux élections prud’homales, il assène que " le syndicalisme n’est pas en cause, mais ce sont les syndicats qui doivent se modifier ".

L’idée de faire tournebouler le syndicalisme ne le quittera plus. En mars 1984, quand la CFDT refuse de se joindre à une grève générale dans la fonction publique, Jean-Paul Jacquier lance que le secteur public, dont relève la majorité des adhérents cédétistes, n’est plus " le fer de lance de l’innovation sociale et de l’intervention syndicale ". Humainement attachant, il irrite dans une centrale où la resyndicalisation est encore loin de faire l’unanimité. Convaincu que le syndicalisme n’est pas là pour alimenter la lutte des classes mais pour " négocier et réaliser ", il invente le concept de " développeurs syndicaux " pour favoriser l’ancrage de la CFDT dans le secteur privé et investir le désert des PME.

En décembre 1984, Jean-Paul Jacquier s’engage à fond dans la négociation sur la flexibilité de l’emploi. La direction de la CFDT est favorable au compromis mais elle doit faire marche arrière. Vu par ses adversaires comme " un ultra de l’adaptation ", ce briseur de tables de la loi persiste et signe. Il veut impulser la mutation du syndicalisme, de son sens et de son contenu.

En février 1986, il publie un petit livre dont le titre, Les cow-boys ne meurent jamais (Editions Syros), est tout un programme. Pour que les cow-boys du syndicalisme ne meurent pas, il faut qu’ils changent de monture. Inquiet de voir que la CFDT, en nombre d’adhérents, " tombe lentement en dessous de la ligne de flottaison ", il fustige un syndicalisme qui prétend " refaire le monde " quand les salariés attendent qu’on refasse leur " morceau d’atelier ". " Nous, militants, écrit Jean-Paul Jacquier, qui avons mangé du collectif à tous les repas, devons faire face au “et moi, et moi, et moi”. " Il rêve d’une " décasernification des relations sociales " et propose au patronat d’" échanger la liberté syndicale contre la liberté d’entreprendre ".

En novembre 1988, au congrès de Strasbourg où Jean Kaspar succède à Edmond Maire, Jean-Paul Jacquier livre une sorte de testament syndical dans un texte qui préconise " un syndicalisme d’adhérents qui associe les salariés ". Après son départ de la commission exécutive, en 1992, il se reconvertit en sociologue d’entreprise. En 2005, il fonde le site Clés du social (Clesdusocial.com) pour " mettre en valeur la créativité de la négociation ". Pendant sa maladie, celui qui avait écrit au sujet du syndicalisme " moi, je me l’aime " restait attentif aux bruits du social, sans jamais se départir de son sens de l’humour, y compris sur lui-même.

Michel Noblecourt


« Jean-Paul Jacquier
21 juillet 1940
Naissance à Annaba (Algérie)
1980
Secrétaire général de la Fédération CFDT de l’agriculture
1982-1992
Commission exécutive de la CFDT
15 mai 2014
Mort à Boudou (Tarn-et-Garonne) »


© Le Monde


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