1. Accueil
  2. > Protection sociale
  3. > Chômage
  4. > Fusion ANPE-UNEDIC

Fusion ANPE-UNEDIC

mercredi 7 novembre 2007

Bonne idée mais attention ! car rien n’est dit de la manière d’articuler le nouvel organisme avec les autres acteurs : aux services déconcentrés du ministère, aux missions locales, aux maisons de l’emploi, à l’APEC, à l’AFPA, au service public d’éducation...

Le paysage de la gestion du marché du travail s’est compliqué en un quart de siècle. Outre les services des directions départementales du travail et de l’AFPA, aux deux dispositifs séparés l’UNEDIC (gérée par les partenaires sociaux, pour l’indemnisation des demandeurs d’emploi)) et l’ANPE (établissement public, pour la gestion du rapprochement demandeurs d’emploi-offres d’emploi), se sont rajoutées l’APEC (gérée par les partenaires sociaux), des missions locales et des permanences d’accueil pour les jeunes avec le soutien de collectivités territoriales. Depuis 2005, ces dernières ont été incitées par l’Etat à créer des maisons de l’emploi – une par bassin d’emploi – avec l’idée de regrouper en un seul lieu les services utiles au demandeur d’emploi. Pour faire bon poids, il faut y ajouter les entreprises spécialisées dans la gestion de l’intérim, les cabinets de chasseurs de tête, les associations d’aide à l’insertion sociale et économique, les organismes de formation publics (AFPA, Education nationale) ou privés.

Quelques données chiffrées sur les personnels concernés indiquent, même s’il peut y avoir des doubles comptes, l’ordre de grandeur de la force de frappe humaine (750000 agents) directement concernées :

 ANPE : 27 631 et 1300 points d’implantation
 UNEDIC : 14 074 et plus de 600 sites
 Missions locales et permanences d’accueil : 9550 dans 500 sites
 APEC : 870
 Ministère du travail (administration centrale et services déconcentrés) : 10 400
 227 Maisons de l’Emploi labellisés : ?
 AFPA : 11 936

Toutes ces institutions publiques ou privées sont concernées par le marché des demandeurs d’emploi, indemnisés (par les Assedic ou l’Etat – Allocation de solidarité ou RMI) ou non-indemnisés (environ la moitié d’entre eux) et à l’affût des diverses incitations financières à l’emploi et à la formation qu’inventent régulièrement les divers acteurs, et d’abord les gouvernements.

On comprend la demande récurrente des usagers (demandeurs d’emploi et employeurs) à disposer d’un guichet unique d’entrée dans le dispositif, dont ils espèrent qu’il leur simplifiera la vie et qu’il leur permettra plus rapidement de satisfaire la demande et l’offre d’emploi. Le souci de lutter contre le fléau qu’est le chômage de longue durée, autant que le souci de productivité, vient renforcer cette pression sur les acteurs du marché de l’emploi.

Face à un stock de 9 % de la population active au chômage, à plusieurs centaines de milliers d’offres qui ne trouvent pas preneur, à quelques affaires de fraude sur les allocations qui défraient la chronique, aux critiques lancinantes sur l’inefficacité de la formation professionnelle à l’égard des plus démunis, le « bon sens » se dit qu’en regroupant tous les moyens aujourd’hui disponibles, on devrait pourvoir faire mieux en matière d’accueil et d’accompagnement des chômeurs pour les aider à retrouver plus vite une activité. On sait que c’est cet investissement-là qui a montré son efficacité chez nombre de nos voisins. Que cela dépende aussi de l’importance de la croissance de l’offre d’emplois n’enlève rien à l’argument. Plus d’emplois, moins de chômeurs, raccourcissement de la durée de chômage, autant d’espoirs de voir à terme diminuer les cotisations chômage (4% patronales, 2,4 % salariales), …avec le souci chez les représentants des salariés de pouvoir ainsi faire basculer ce qui serait ainsi gagné sur le financement des retraites.

Régulièrement donc, resurgit à gauche comme à droite le serpent de mer de l’unification d’une partie de ces institutions, celles qui dépendent du moins de l’Etat et des partenaires sociaux. La dernière campagne électorale n’y a pas manqué. Le nouveau président vient donc d’intimer l’ordre au gouvernement et aux partenaires sociaux de déboucher rapidement sur un projet de fusion des réseaux opérationnels de l’ANPE et de l’UNEDIC avant la fin de l’année, formalisé par un projet de loi en 2008.

Il bouscule du même coup le travail de rapprochement acté par la dernière convention Etat-ANPE-UNEDIC promouvant le guichet unique et le dossier unique du demandeur d’emploi ;

 le programme lancé par le précédent gouvernement de création d’une maison de l’emploi par bassin d’emploi en s’appuyant sur les collectivités territoriales
 les négociations entre partenaires sociaux sur la remise à plat du système d’assurance chômage et, plus largement, le contrat de travail.

Mme Lagarde, ministre de l’Economie et de l’Emploi, vient d’esquisser l’architecture du projet gouvernemental qu’elle soumet à la concertation des partenaires sociaux dans les semaines à venir.

De ce que l’on comprend, l’UNEDIC paritaire demeurerait en l’état, juridiquement et politiquement, avec la maîtrise, par la négociation et la contractualisation, du système d’indemnisation. Elle conserverait le prélèvement des cotisations et avec lui la maîtrise des données statistiques. Elle récupérerait les biens possédés par les Assedic qui devraient se dissoudre dans le cadre de la fusion des réseaux.

Par contre, on créerait un nouvel organisme (appelé « France Emploi », dit-on). Il regrouperait les réseaux des Assedic et de l’ANPE, pour assurer les missions de l’indemnisation, d’accueil, d’accompagnement et de placement des demandeurs d’emploi, sous le double mandat de l’Etat et du régime d’assurance chômage. Il gérerait les sites actuels pour aboutir à des « guichets uniques », avec ce que cela suppose d’évolution des métiers concernés. Les personnels pourraient conserver leur statut, mais on imagine mal qu’à moyen terme persiste des écarts de salaires entre des personnels travaillant côte à côte dans le même site aux mêmes tâches.

Comme l’objectif est de réduire le suivi par agent à une trentaine de demandeurs d’emploi (au lieu de 120-130, voire 200 aujourd’hui), il est peu probable que le regroupement implique des suppressions d’emploi ; il faudra au contraire mobiliser toutes les forces disponibles, non seulement dans les deux institutions, mais en dehors : les services déconcentrés de l’Etat, les missions locales ou maisons de l’emploi. Puis recruter, probablement sous statut privé, si le statut juridique du nouvel organisme est de ce type, comme c’est probable. Ce qui promet un bel empaillage avec les partisans de l’établissement public !

Quelle serait la structure de décision ? Un conseil d’administration réunissant les représentants de l’Etat et les partenaires sociaux ? On laisse entendre que les partenaires sociaux pourraient y être majoritaires et désigner, de droit, la présidence du CA, tandis que le directeur général serait nommé par l’Etat, sur proposition (ou avis ?) des partenaires sociaux.

Un conseil national d’orientation présidé par le Ministre de l’Emploi rassemblerait les partenaires sociaux, les responsables du nouvel organisme et des représentants des collectivités territoriales, notamment des régions. Des directions régionales seraient mises en place, assistées d’un comité régional d’orientation de l’emploi.

Pour décider de quoi ?
De la mise en œuvre de décisions prises en d’autres lieux. C’est en effet ce qui crève les yeux. Car le budget de fonctionnement et d’investissement du nouvel organisme relèvera de l’Etat d’abord, mais probablement aussi de l’UNEDIC (s’il y a convention de financement sur le conventionnement ou l’immobilier). Il en ira probablement de même des mesures d’accompagnement et de retour à l’emploi, de suivi et de contrôle des demandeurs d’emploi. Si l’UNEDIC continue de fixer les règles d’indemnisation pour ses cotisations, ce qui relève du régime de solidarité dépendra de l’Etat, même si ce dernier délègue, comme aujourd’hui, à l’UNEDIC la gestion de mesures comme l’allocation spécifique de solidarité ou les conventions de reclassement.

Le rôle des services de l’Etat et du législateur demeurera dominant. Comment alors justifier un CA où les partenaires sociaux seraient en majorité ? Accepteront-ils demain d’assumer la mise en œuvre de la politique de l’emploi décidée par les politiques ? Ne risque-t-on pas de transférer dans la gestion interne du nouvel organisme les tensions entre les partenaires sociaux - employeurs et/ou salariés – et l’Etat, dont nous avons eu de multiples exemples dans les dix dernières années ? Inventer un fonctionnement en deux formations (par exemple, conseil de direction et conseil de surveillance avec les partenaires sociaux) ne relève-t-il pas d’une douce utopie ?

Dans ce schéma, pourtant déjà bien complexe, rien n’est dit de la manière d’articuler le nouvel organisme avec les autres acteurs : aux services déconcentrés du ministère, aux missions locales, aux maisons de l’emploi, à l’APEC, à l’AFPA, au service public d’éducation, aux opérateurs privés de toutes sortes en matière de placement, de formation et d’insertion. Comment va-t-on les mobiliser concrètement sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi ? De qui relève la délégation de service public, la conception du cahier des charges et du contrat, l’évaluation de sa mise en œuvre ? De l’UNEDIC recentré ? Du nouvel organisme ? De l’Etat et de ses services ? De tous et de personne risque d’être la réponse.

Conclusion :

On est en droit de craindre de lourdes pertes de temps et d’énergie dans une tentative de fusion et de réorganisation, qui va être, à l’évidence, sources de conflits teigneux. On va geler pendant des mois les rapprochements effectifs en cours. Au lieu de développer concrètement sur le terrain, à partir de ce qui existe déjà, le projet d’un seul lieu d’accueil, de prise en charge et d’accompagnement pour chaque demandeur d’emploi, on risque de s’embourber dans un débat institutionnel.

Pourtant le guichet unique est indispensable et urgent, tant pour ceux qui cherchent un emploi, que pour les employeurs.

Pour le réaliser plus vite, il serait plus sage de suivre la suggestion de Bernard Brunhes : confier, y compris par la loi, s’il le faut, une mission régionale de l’Emploi, dirigée par un fonctionnaire ayant rang de préfet, la coordination obligatoire de tous les acteurs de ce ressort participant au service public de l’emploi, qu’ils soient publics ou privés. Les objectifs à mettre en œuvre pouvaient prendre appui sur la convention Etat-ANPE-UNEDIC, avec un descriptif régional et des moyens budgétaires affichés, pour lever les obstacles (pensons à la formation et aux échanges entre personnels de « boutiques » différentes) et les réticences qui sont connus. Mieux vaut souvent en matière de réforme une fonction d’impulsion, d’évaluation et d’arbitrage, clairement assumée, plutôt qu’une usine à gaz, dont la Cour des Comptes dans 5 ans nous décrira les tristes errements. S’il faut un Haut Commissaire pour tenir l’épée dans les reins aux différents acteurs nationaux et aux coordinateurs régionaux, pourquoi pas ? Et quand le guichet unique sera réalisé sur le terrain, il sera toujours temps d’en tirer les conséquences institutionnelles.