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Ombres et lumières sur le temps de travail dans la fonction publique

samedi 9 juillet 2016

Le 26 mai 2016, Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, a remis son rapport sur le temps de travail dans la fonction publique à Annick Girardin, ministre de la fonction publique. Ce document présente un état des lieux éloquent et très approfondi sur les temps de travail des agents employés par l’Etat, les collectivités territoriales et les hôpitaux. Sans provocation, il dresse l’ensemble des contraintes et des sujétions spécifiques des agents qui tiennent aux missions de service public dans les différents services, souligne que peu de fonctionnaires effectuent les 1 607 heures réglementaires et propose de nombreuses pistes de résolution de certaines difficultés.

Un thème polémique et exploité politiquement

Diplomate et responsable, le rapporteur, par ailleurs maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine), rappelle dans son introduction que « la question du temps de travail dans la fonction publique est un des sujets les plus débattus, et parfois « rebattus », dans le monde politique français, sans qu’un véritable état des lieux n’ait été dressé ».
Il insiste sur le fait que « la focalisation sur le temps de travail des fonctionnaires est facile. Or, on oublie facilement ceux qui travaillent la nuit, les week-ends et jours fériés et dont la présence et les interventions sont devenues évidentes : infirmières, sapeurs-pompiers, policiers, agents techniques... Il faut qu’adviennent catastrophes ou attentats pour qu’alors on prenne conscience de leur action, et pour tout dire de leur nécessité ».

La nécessité d’un bilan

Depuis la mise en place des 35 heures au début des années 2000, aucun bilan de cette réforme n’avait été dressé dans la fonction publique. 300 auditions ont été effectuées dans le cadre du rapport. Il donne une vue plus solide et objective de la question, en présentant d’abord l’extrême diversité des situations et conditions d’emplois qui expliquent les nombreuses particularités rencontrées. Un hôpital n’est pas une commune qui n’est pas une administration centrale.
Les astreintes, les sujétions particulières et les rythmes ont été analysés avec soin de même que la mise en place de l’ARTT. Des éléments précis de comparaison avec le secteur privé ont été fournis, qui relativisent fortement les différences souvent évoquées.
Le rapport insiste sur les questions de méthode. Des habitudes ont été prises, des exceptions sont devenues la règle. La réduction du temps de travail dans la fonction publique a sans doute été trop rapidement mise en œuvre, et a été plaquée sur des organisations préexistantes, non réexaminées. Ses conséquences pourtant inéluctables en terme de créations nécessaires de postes n’ont pas toujours été bien prises en compte.

La durée annuelle de travail est inférieure à la durée règlementaire

« Peu de fonctionnaires effectuent les 1 607 heures réglementaires » indique le rapport. La mission évalue, sur la base des données INSEE, la durée annuelle de travail des fonctionnaires à 1 584 heures par an, inférieure de 1,4% à la durée réglementaire. Cette moyenne, insiste le rapporteur, n’a pas beaucoup de sens car elle dissimule des situations d’une diversité inouïe.
Cette différence s’explique principalement par la nature des missions confiées au secteur public. En effet, ces exigences entraînent des contraintes spécifiques dont la contrepartie a porté plus souvent sur la durée du travail que sur les rémunérations, faisant du temps de travail un élément essentiel de compensation des sujétions.

Les grandes difficultés pointées par le rapport

Le rapport pointe plusieurs dysfonctionnements, relatifs à l’organisation du travail notamment.

  • la mise en œuvre de l’ARTT s’est faite par souci d’égalité de traitement entre salariés du secteur privé et agents publics. Une durée légale de 1 600 heures puis de 1 607 heures a été fixée ainsi qu’un nombre de jours de réduction du temps de travail (RTT) compensant le dépassement des 35 heures hebdomadaires ;
  • La volonté de ne pas perturber le fonctionnement des services lors de la mise en œuvre de la RTT a souvent conduit à maintenir l’organisation du travail en place et conserver des « usages » comme des jours de congés supplémentaires ;
  • Dans la fonction publique territoriale, les employeurs ont usé de la possibilité légale de maintenir les régimes antérieurs plus favorables que les 1 607 heures ;
  • Plusieurs cycles de travail ont été proposés ou imposés aux agents avec pour incidence une multiplication des possibilités (jusqu’à 10 dans un ministère) ; de manière paradoxale, le cycle à 35 heures hebdomadaires n’est pas offert dans certains services alors même que la réforme en faisait la solution pour concilier vie personnelle et vie professionnelle ;
  • Les agents ont massivement choisi les cycles les plus longs (38h30) qui leur offrent la contrepartie de nombreux jours de RTT ;
  • Les comptes épargne-temps (CET) ont prospéré et constituent une dette des employeurs vis-à-vis des fonctionnaires, dette valorisée pour la fonction publique d’Etat (FPE) et la fonction publique hospitalière (FPH) mais pas pour la fonction publique territoriale (FPT). Elle représente de 3 à 4 milliards d’euros pour la police et les hôpitaux ;
  • L’assimilation entre jours de congés et jours de RTT est une confusion courante ;
  • Dans les établissements de soins et la police nationale, l’absence de maîtrise du temps de travail s’est traduite par une inflation des heures supplémentaires. Ces heures dues sont une charge pour les finances publiques, d’autant que leur volume est mal connu, surtout dans la fonction publique hospitalière.

Mais, il y a aussi des comparaisons en faveur des fonctionnaires

  • Les astreintes sont deux fois plus importantes pour les agents publics que pour les salariés du secteur privé ;
  • 36,7 % des fonctionnaires travaillent le week-end contre 25,8 % dans le privé ; et 17,5 % travaillent la nuit, contre 14,9 % dans le privé ».

Revenir à la règle de droit

Le rapport préconise des mesures et des évolutions en faveur d’une meilleure connaissance, d’une plus grande égalité, d’une plus grande transparence du temps de travail dans les trois versants de la fonction publique. Il insiste sur la responsabilité des employeurs publics et la place centrale du dialogue social et de la cohésion sociale dans l’évolution et la modernisation de l’administration, de son organisation et de sa gestion.
Au terme de l’analyse qui révèle par ailleurs que le droit européen s’est imposé aussi bien au secteur privé qu’au secteur public dans le souci de protéger la santé des travailleurs, la mission a formulé 34 recommandations qui peuvent être regroupées en quatre axes thématiques :

  • fixer les 1 607 heures comme moyenne effective de travail dans la fonction publique quand aucune sujétion ne justifie un régime inférieur ;
  • moderniser les organisations de travail pour mieux s’adapter aux besoins des usagers (annualisation, moins de cycles, forfait...) ;
  • garantir plus d’équité entre fonctions publiques et entre agents placés dans des situations comparables (astreintes, ASA, compensation des sujétions...) ;
  • assurer un meilleur suivi du temps de travail et une plus grande transparence (labellisation, bilans sociaux....).

Les réactions des organisations syndicales

La CFDT indique que l’arbuste ne doit pas cacher la forêt et rappelle que les durées du temps de travail ont été négociées, parfois dès les années 1980, pour partager le travail et donc créer des emplois, élargir les plages d’ouverture des services, samedis compris.

La CGT se félicite que le rapport mette « en exergue que les fonctionnaires, du fait de la spécificité et de la nécessaire continuité du service public, de jour comme de nuit, durant la semaine comme le week-end, ne travaillent pas moins que les salariés du privé. C’est le mérite principal et tout à fait important de ce document ».

La réaction de la Ministre de la fonction publique

Annick Girardin, s’est félicitée des vérités rétablies tout en évoquant des « dysfonctionnements liés à des pratiques managériales qu’il faut changer ». La ministre de la Fonction publique a déclaré à l’AFP vouloir « ouvrir le débat avec les organisations syndicales pour avancer sur les différents sujets ». Elle entend aussi « redire aux employeurs publics qu’ils ont un devoir d’exemplarité et que ce devoir comprend une meilleure gestion du temps de travail des agents de la fonction publique ».


Sources