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De la caricature et du caricaturé

vendredi 1er septembre 2006

Plainte pour diffamation contre le dessinateur Plantu...?!
Le Monde daté du 25 avril 2002, lors de la campagne pour le deuxième tour de l’élection présidentielle avait publié un dessin de Plantu.

Le lecteur y discernait deux petits personnages symbolisant sans équivoque Arlette Laguiller et Marc Blondel, béatement endormis, derrière Jean-Marie Le Pen, assis face à une manifestation de jeunes criant « Votez Chirac ». Tous les trois portaient le même uniforme à la chemise brune, avec des brassards respectivement FN, LO et FO.

Marc Blondel, considérant être « atteint dans son honneur », avait porté plainte pour diffamation contre le dessinateur Plantu. Dans le débat en première instance, Plantu avait fait appel aux témoignages du journaliste Yvan Levaï, du philosophe Régis Debray et de l’ancienne secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat. Tous trois, ont défendu le droit à la caricature, cette dernière rappelant qu’elle avait été la cible de dessins particulièrement scandaleux, sans pour autant faire appel aux tribunaux.

Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Quels étaient les enjeux du débat ?

Plantu avait rappelé que pour la première fois en France, un candidat d’extrême droite arrivait au second tour de la présidentielle et que, face à cette situation, « il fallait prendre position. Le silence assourdissant de Blondel et de Laguiller nous avait interpellés. » Alors que la plupart des formations politiques, syndicales et associatives du pays avaient appelé plus ou moins explicitement à faire barrage à l’élection de Le Pen, LO et FO avaient refusé de donner à leurs militants une consigne de vote.

Gisèle Halimi, son avocate, avait enfoncé le clou en en disant que, face à un « séisme politique, Plantu avait voulu montrer que, par son abstention, Blondel aidait objectivement Le Pen : c’est peut-être désagréable pour M. Blondel, mais pas diffamatoire » ; d’autant que « la caricature est quelque chose de fondamental dans l’exercice de la liberté d’expression ». Dans son esprit, il s’agissait d’un appel à « se réveiller avant le second tour ».

Débouté, Marc Blondel avait fait appel devant la 11e chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris. L’avocat général a requis la confirmation du jugement de première instance en estimant que le dessin de Plantu contribuait au débat d’idée et avait valeur d’éditorial. Le 4 février, la cour déboutait Marc Blondel, confirmant la décision de première instance. Aux arguments de forme, constatant que la loi d’amnistie du 6 août 2002 éteignait l’action publique contre Plantu, s’ajoutent des motifs de fond :

  • - d’abord, en considérant que si Marc Blondel se plaignait d’être dépeint comme indifférent, voire satisfait de la présence de Jean Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, « dès lors que le Front National est un parti politique autorisé en France, le soutien à ce parti ne saurait être considéré comme attentatoire à l’honneur ou à la considération » ;
  • - ensuite, en estimant que le dessin en cause n’attribuait pas à Marc Blondel de sympathie particulière à l’égard de l’idéologie d’extrême-droite, mais exprimait, certes avec une certaine dureté, son désaccord avec la position de la direction de FO de ne pas donner de consigne de vote à ses militants avant le deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002.

Plantu, signale dans son site (www.plantu.net) que Marc Blondel s’entête dans son action judiciaire. On continuera donc de suivre le sujet et de rappeler qu’il s’agit d’un sujet plein d’intérêt sur lequel on ne doit pas trop vite passer l’éponge.

Car, à l’arrière-plan, le problème de fond est le suivant : jusqu’où l’apolitisme érigé en dogme par FO, - ce ne fut pas toujours le cas - peut-il conduire cette organisation syndicale et ceux qui lui font confiance ? Quand les libertés fondamentales furent en cause, FOe fut jadis en leur nom un pôle de résistance face à la domination du PCF et de la CGT sur le mouvement ouvrier. Elle le fut aussi lors du coup d’Etat des généraux de 1961.

Comment ses responsables peuvent-ils aujourd’hui face à un autre danger – celui du FN au poids électoral non négligeable - et sur les mêmes enjeux, s’ancrer dans une neutralité ossifiée, silencieuse et spectatrice ? Serait-elle ralliée aujourd’hui aux vieilles lunes d’extrême gauche qui enterrent les « libertés formelles » des démocraties au nom des « libertés réelles » du paradis du socialisme de demain, et vouent aux gémonies les partis de gouvernement, de droite comme de gauche, au risque de faire le lit du fascisme ? Espérons que 2002 ne fut qu’un écart et que, demain, le comportement public d’une FO, ressaisie, apportera le démenti le plus ferme à ces interrogations