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La responsabilité des employeurs d’intermittents.

mercredi 23 juillet 2014

Lier les cotisations des employeurs du secteur culturel à leur usage de l’intermittence.

Notre été est scandé par l’écho des quelques spectacles annulés ou des interventions de soutien - applaudies ! - des intermittents dans ceux qu’ils laissent se dérouler. Le groupe de travail désigné par le gouvernement travaille en silence. Silence tout aussi tonitruant des employeurs.

Et pourtant ! La Cour des comptes rappelait pourtant que depuis 2004 un déficit structurel de l’ordre du milliard d’euros s’est mis en place, au-delà des fluctuations du marché du travail. Elle liait cette situation à « une situation d’utilisation particulièrement intensive du régime d’assurance-chômage par certains des employeurs et des salariés du secteur, ainsi que le montrent les taux très élevés de consommation des droits » : « forte récurrence d’indemnisation, une durée moyenne d’indemnisation sur l’année élevée et un montant moyen perçu par an près de quatre fois plus élevé que celui des CDD du régime général et trois fois plus important que celui des intérimaires ».

Mettant les points sur les i, tout en justifiant des règles spécifiques au secteur du spectacle ainsi que la solidarité interprofessionnelle, la Cour relève que « les intermittents du spectacle quittent pour la plupart d’entre eux leur situation de travail quelques jours après avoir effectué le nombre de jours nécessaire pour être titulaire de droits et qu’ils retrouvent souvent une activité quand ils ont épuisé leurs droits. Ces faits montrent que le dispositif actuel ne représente pas seulement une lourde ponction sur la solidarité qui est fondatrice de l’assurance chômage mais que, plus négativement, il constitue une incitation à la permittence (le fait d’associer structurellement des périodes de travail et de chômage et de facto d’utiliser les allocations comme un complément de rémunération. »

Le phénomène concerne surtout les techniciens du spectacle, preuve, s’il en était besoin, de la complicité des employeurs du spectacle et de leurs salariés. Moins précaires que les artistes, leur régime devrait se voir appliquer des règles proches de celles des intérimaires.

La recommandation principale de la Cour est d’augmenter les cotisations des employeurs et de les rendre variables en fonction de leur recours au travail intermittent. Or c’est aussi la proposition du sociologue spécialiste de l’analyse de ce secteur professionnel [1], Pierre-Michel Menger [2], professeur au Collège de France, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il souligne que les effets pervers du dispositif tiennent à la liberté totale des employeurs grâce au « CDD d’usage », situation unique sur le marché du travail : l’employeur n’a pas à justifier la durée du contrat ni la moindre contrainte sur son renouvellement ou quelconque responsabilité sur la carrière de ceux qu’il emploie, sur l’évolution de leur compétence ou la gestion de leur retraite. Le développement des activités culturelles depuis les années 1980 s’est opéré grâce au système de l’intermittence qui assurait aux employeurs des coûts réduits dans une flexibilité complète. Son coût invisible est de 80 % à la charge de tous les employeurs et de tous les salariés du secteur privé le dispositif d’assurance-chômage.

Conséquence : au lieu de développer des emplois permanents ; il a largement accru l’emploi intermittent (9 000 en 1980, 123 000 en 2002, 130 000 en 2013. Aujourd’hui domine la « permittence » dans une rotation de quatre mois de travail procurant huit mois d’indemnité chômage, y compris avec des activités réduites sans plafond de cumul. Le système d’emploi produit de la précarité. Les employeurs, toujours plus nombreux, dispersent leur offre de travail sur un grand nombre d’intermittents, créant toujours plus de précarité. Seule sécurité : en moyenne 50 % du revenu d’un artiste et le tiers du revenu d’un technicien sont les indemnités chômage, la partie la plus sûre de leurs revenus.

P-M. Menger fait observer que les résultats en sont des situations plus inégalitaires que dans le salariat classique, des revenus moyens inférieurs à celui de catégories salariales équivalentes, des situations difficiles après 50 ans, et des retraites à un niveau exceptionnellement bas.

Les intermittents, au lieu de se battre contre leurs employeurs pour obtenir un changement de situation prennent comme boucs émissaires l’UNEDIC et l’État, et, ô paradoxe, se battent aujourd’hui contre la création d’un plafond de cumul et d’un différé d’indemnisation pour les plus hauts revenus. Somme toute, ils servent de masse de manœuvre à des employeurs qui se tiennent en retrait, quand ils ne les encouragent pas, car employeurs et salariés défendent en l’espèce les mêmes revendications.

P-M. Menger propose qu’on établisse pour chaque employeur du secteur culturel un compte établissant le nombre d’intermittents employés, pour quelle durée et pour quel coût induit de l’assurance chômage. À partir de là on pourra demander aux gros employeurs [3] de l’intermittence de cotiser plus à l’UNEDIC, à la mesure de la partie du coût réel qui est reporté sur l’assurance-chômage. Le législateur devrait aussi encadrer le CDD d’usage et, par exemple, transformer automatiquement en CDI certaines situations où l’intermittence répétitive avec un même employeur atteint 900 heures sur l’année.

Attendons les conclusions du groupe de travail mis en place par le gouvernement. La cohérence de ses propositions avec les analyses précédentes permettra de savoir si, enfin, on sortira d’un jeu de dupes qui ne nuit au final qu’aux salariés du secteur culturel, et couvre les intérêts du lobby si efficace et silencieux des employeurs du secteur culturel.


Notes :

[1Les intermittents du spectacle. Sociologie du travail flexible, 2011, Editions de l’EHESS.

[2Voir ses interviews dans la double page du Monde du 28 juin 2014 et de l’agence Influences du 19 juin 2014.

[3L’ensemble de l’audiovisuel public et privé, y compris les sociétés de production, comme les entreprises importantes de spectacle.