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« Ce que dit Charlie » : 13 leçons d’histoire : Pascal ORY (Gallimard – 2016)

samedi 27 février 2016

Pascal ORY est historien et auteur de nombreux ouvrages se rapportant à divers domaines : la culture, l’image, l’identité, les lieux …

Ce texte propose des réflexions historiques en rapport avec les attentats de janvier 2015 (le manuscrit a été remis à l’éditeur le 1/09/ 2015) mais très vraisemblablement celui-ci n’aurait sans doute pas été modifié substantiellement après les attentats du 13 novembre.

Les 13 leçons d’histoire portent sur :

 la « sidération » : ce chapitre rappelle les faits précédents l’attentat de « Charlie » : les « caricatures de Mahomet » en 2005 publiées dans une presse danoise marquée à droite, le numéro du 8 février 2006 intitulé « Mahomet débordé par les intégristes » mais également la situation de l’état de la presse écrite dont celle spécifique de la presse satirique. L’écho important de l’évènement doit aussi se comprendre à partir de la violence physique (morts et blessés) mais également de la violence verbale (fatwas, appels au meurtre) ainsi que la célébrité de plusieurs victimes.

 « le crayon guidant le peuple » : le dessin nous indique l’auteur souffre de n’avoir jamais eu le prestige de la peinture ; il appartient intrinsèquement au monde inférieur de la duplication et de la publication périodique, il vise un effet immédiat. ORY ajoute que les artistes de « Charlie hebdo » sont partis au combat crayon à la main, au nom d’une mission – le contre-pouvoir - et d’un principe - la liberté d’expression.

 « Caricature de Mahomet » : le fond du problème réside dans le refus islamique de la représentation de Dieu (admise en revanche chez les catholiques et les orthodoxes). Faut-il rappeler qu’avant les publications des caricatures de Mahomet au Danemark le 30.09.2005 Salman Rushdie après la publication des « Versets sataniques » a fait l’objet le 19.02.1989 d’une fatwa –toujours valide- du guide suprême de la République iranienne R. KHOMENIE appelant à son assassinat.

  « Religion (guerre de) » : le postulat – selon l’auteur - réside dans la sous-estimation de la présence maintenue du religieux traditionnel au sein des sociétés non occidentales d’ailleurs dans ce cadre la distinction entre religion et politique est absurde. Il enfonce le clou lorsqu’il indique qu’il n’est écrit nulle part que l’avenir des sociétés humaines soit nécessairement tolérant, libéral et humaniste : nous voilà clairement prévenus !

 « Terrorisme » : le terrorisme est bien une démarche guerrière indique Ory puisqu’il s’agit d’une forme organisée de violence recourant à un moyen spécifique (la terreur). Il faut d’ailleurs noter que le terrorisme s’est adapté à une donnée capitale de la modernité : l’individualisme.

 « Liberté d’expression » : ce débat n’est pas nouveau en France, il renvoie à divers textes : la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, plus récemment la loi sur la communication audiovisuelle de 1982. Ory soutient que d’un point de vue libéral le périmètre de la liberté d’expression à la française ne s’est pas restreint : c’est l’abus de cette liberté dont les cas sont déterminés par la loi qui se sont précisées – notamment avec les lois dites mémorielles-

 « Laïcité » : Ory revient sur les caractéristiques nationales : la loi FERRY du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire –« l’un des grands piliers du laïcisme à la française- et la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905 : deux originalités françaises selon l’auteur. Puis, il signale la loi du 15 mars 2004 (sur le port des signes ou tenues religieux jugés ostensibles) et celle du 11.10.2010 qui affirme que : nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. Cet accent mis sur la laïcité en France ne se retrouve pas dans les pays anglo-saxons.

  « Place de la République » : les attentats de janvier ont requalifiés des lieux déjà institués dont la Place de la République (proche géographiquement du lieu des attentats autour du monument des frères Morrice (1883).

 « Je (ne) suis (pas) Charlie » : outre la polémique suscitée par les propos de Dieudonné (« ce soir -11 janvier- je me sens Charlie Coulibaly ») un ouvrage d’Emmanuel TODD (« qui est Charlie ? ») a suscité beaucoup de commentaires sans convaincre car fondé sur une analyse socioreligieuse fort discutable avec le concept de « catholicisme zombie » (regroupant classes moyennes, personnes âgées, catholiques zombies)

 « Hyper Cacher » : la mise en scène sanglante de l’Hyper Cacher a fait surgir la question antisémite après les crimes anti-juifs de Toulouse (2006) et de Bruxelles (2014). Dans un contexte particulier celui en France qui associe à la deuxième plus nombreuse communauté juive –hors d’Israël- (environ 450.000 membres) la plus nombreuse communauté musulmane d’Europe occidentale (environ 5 millions de membres). Pour autant le rapport de la CNCDH (commission nationale consultative des droits de l’homme) d’avril 2015 indique qu’à l’échelle de la société française l’actualité xénophobe n’est pas d’abord tournée vers les juifs mais vers les musulmans : complexité, complexité

 « Traité sur la tolérance » : ce chapitre du livre est consacré au rôle de l’intellectuel dont la légitimité généraliste peut-être d’origine philosophique, scientifique, artistique dans un pays dont l’identité est double : catholique et étatique. Le tout se greffant sur un discours récurent portant sur « la décadence nationale » et le « déclinisme » portés notamment par Nicolas Baverez et Eric Zemmour. ORY ne manque pas de signaler de plus qu’une partie des intellectuels est attirée par des positions radicales (Badiou sur des positions léninistes – Mauras sur des positions monarchistes) ou par des positions hypercritiques. Cela rend encore plus singulier lors des évènements de janvier le succès de librairie (plusieurs milliers d’exemplaires) du « Traité sur la tolérance » (de Voltaire plaidant en 1763 pour la réhabilitation de Jean CALAS).

 « Soumission » : c’est le titre du dernier livre de Michel HOUELLEBECQ pour lequel ORY semble avoir de la sympathie. Cet auteur a le don de sortir des romans en résonnance avec des faits actuels de société non sans parfois utiliser la provocation (ses déclarations à l’emporte pièces sur le Coran)

 « The massacre at Paris » : d’entrée ORY indique que le regard étranger sur la France dit beaucoup sur notre pays, à commencer par les stéréotypes qui l’accompagnent. Au-delà l’auteur nous prévient que « la montée des nationalismes, des intégrismes et des populismes donne le ton de cette nouvelle conjoncture qui perturbe les classements idéologiques familiers des intellectuels occidentaux : janvier 2015 étant la traduction –positive ou négative- de « vivre plus que jamais à l’heure globale ».

Le livre se termine par un chapitre intitulé « principe d’incertitude » dans lequel ORY nous indique que « la nature des rassemblements des 10 et 11 janvier, manifestation de masse d’individualistes, invente un équilibre intrinsèquement fragile » : prudence d’intellectuel, d’historien : en tout cas ce livre enrichissant mérite d’être lu.